Elle a 15 ans, bientôt 16, et deux dizaines de kilos en trop. Brunette bourrelée attachante, Tamara amuse et apitoie depuis sept ans déjà. Dotée d’un père chanteur d’opéra et égocentrique, d’une mère libérée et remariée, d’un beau-père sympa et d’une demi-sœur craquante, elle est amoureuse du beau Diego. Qui, dans ce huitième album, le lui rend bien. Mais des jaloux cherchent à faire craquer le jeune couple… Le dessinateur Darasse, sexagénaire, et le scénariste Zidrou, bientôt quinquagénaire, s’expliquent sur leur jeune créature, qui pimente de plus en plus librement les pages de Spirou.

Comment Tamara est-elle née ?
Zidrou: Au départ, j’avais proposé à Spirou des gags autour d’un adolescent boutonneux et laid, Michou Gros Pou. Mais le projet n’a pas abouti chez Dupuis. J’aimais tout de même le burlesque de ce type de personnage, et j’ai rebondi sur Tamara, une adolescente en peine de fiancé. Cela donne une héroïne plus touchante qu’une super nénette, et dramatiquement il est plus intéressant d’avoir un tel déséquilibre par rapport à la « normalité ».

D’où est venue l’idée de lui attribuer une surcharge pondérale importante ?
Zidrou: Je vis en Andalousie, où les adolescents sont particulièrement gros ou gras. C’est un vrai problème de santé publique, et une source de mal-être dans une société qui survalorise la minceur et la beauté. Tamara pèse 83 kilos et mesure 1,60 mètre. Elle a compensé le divorce de ses parents par la nourriture… Le premier album comportait beaucoup de gags sur son poids, car c’est ce qui faisait à l’époque son originalité. Ensuite, nous avons gratté sous la graisse pour creuser le personnage.

Vous documentez-vous sur les adolescentes pour mieux croquer Tamara ?
Zidrou: Pas vraiment. Tous les trois ans, j’achète un magazine d’ado. Sinon, j’observe, je me transforme en éponge. Je rends certainement moins bien compte de l’adolescence qu’une fille talentueuse de 23 ans, qui raconte son passé récent…

Darasse, comment êtes-vous arrivé sur le projet ?
Darasse: En 2002, le rédacteur en chef de Spirou, Thierry Tinlot, m’a proposé de lire le scénario de Zidrou, que je connaissais vaguement. Dès les premières pages, j’ai eu la larme à l’œil. Le quotidien de Tamara est à la fois drôle, beau, et tendre. Or faire de l’humour tout en étant touchant est extrêmement difficile !

Comment Tamara vous est-elle venue graphiquement?
Darasse: Ce fut un processus assez long, puisqu’il m’a fallu deux mois pour la trouver. Elle devait être vraiment grosse, pas juste enveloppée. Et il fallait que le lecteur ressente de l’empathie pour elle, et puisse imaginer qu’elle se trouve un fiancé un jour. J’ai demandé à ma fille de 11 ans de la dessiner, et je suis partie de cette base. Les décors de Tamara m’importent peu. D’ailleurs, ils évoluent régulièrement, de façon parfois illogique : les meubles changent de place, j’ajoute une douche dans la salle de bains… Mais on s’en moque, car les personnages importent plus que leur cadre de vie. Zidrou et moi faisons du soap opera ou du théâtre, plus que du cinéma.

Comment travaillez-vous ?
Darasse: Le dessin de Tamara est un travail d’équipe avec mon confrère Bosse. C’est un assistant de rêve, qui a 40 ans de métier ! Il réalise les crayonnés, que je reprends ensuite en les « Darassisant ».

Tamara grandit de plus en plus : on a vu la jeune femme perdre sa virginité dans les pages de Spirou. Avez-vous dû batailler pour imposer cette orientation plus sexuelle de la série ?
Zidrou: Non, pas du tout. La demande venait de l’éditeur, qui souhaitait que Tamara évolue. Il y a bien quelques lecteurs choqués qui se sont désabonnés, ou quelques accusations de racolage. Mais nous ne sommes plus en 1960, et il est difficile de faire mille gags avec un chien et un petit garçon… La plupart des réactions ont été enthousiastes, des parents nous ont remercié d’éclairer leur enfant. Nous avons abordé le sexe avec respect et tact, de façon « soft ».

En amenant Tamara sur ce terrain, et en introduisant dans le récit des pestes jalouses de son histoire d’amour, ne rejoignez-vous pas le propos des Nombrils, autre série de Spirou ?
Darasse: Non, car nous ne nous situons pas sur le même registre. Les Nombrils sont scénarisés par une femme [Maryse Dubuc], québécoise de surcroît : l’intrigue est plus cruelle, mordante.

Quels sont vos projets ?
Darasse: J’ai attaqué avec Bosse le 9e épisode de Tamara, qui devrait sortir pour la prochaine Saint-Valentin. Nous en sommes à la sixième page. J’ai une autre histoire en cours avec Bosse, mais pas encore signée. Elle se passe en 1425 en France, et met en scène Jeanne d’Arc.
Zidrou: Le huitième tome de Tamara se termine mal, et ça n’ira pas beaucoup mieux dans le suivant. Disons que notre héroïne va souffrir, et les paquets de chips aussi… Sinon, j’ai mille projets, dont une quinzaine sont signés. Parmi eux, La Canzone de Marino, une aventure humoristique dans la Venise du XIVe siècle dessinée par Matteo et publiée par Dargaud ; Tueurs de mamans, une série à suspense pour ados chez Dupuis ; Il était une fois, un conte politique qui se déroule en Afrique, dessiné par Beuchot et édité au Lombard ; un one-shot avec Benoît Springler chez Vents d’Ouest ; un Spirou et Fantasio vu par… avec Marc Hardy, qui emmènera ces héros mythiques en Orient, pour une aventure semi-réaliste, pleine de tendresse et de sentiments.

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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Tamara #8.
Par Darasse et Zidrou.
Dupuis, 9,95 €, le 4 juin 2010.

Images © Dupuis / Darasse-Bosse-Zidrou.

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