Tanguy Dohollau et Edmond Baudoin tracent « La Diagonale des jours »
Entre le 2 novembre 1992 et le 11 septembre 1994, Tanguy Dohollau et Edmond Baudoin ont entretenu une correspondance d’un genre particulier : les lettres étaient sous forme de bandes dessinées. L’échange, curieux, faisant se rencontrer le trait particulièrement réaliste (même si certaines images sont surréalistes), presque académique, du premier aux formes libres du second.
Le thème des lettres varie. Dohollau semble avoir du mal à se séparer des grands auteurs, ses écrits sont souvent remplis de citations illustrées, des images souvent riches mais pouvant risquer la lourdeur. Baudoin, tel qu’on le connaît toujours, répond avec un pinceau effleurant à pleine la feuille, et soudain des griffures.
Dohollau raconte sa vie bretonne, les projets et l’accueil d’un artiste pakistanais, Aftab Ahmad, à Saint-Brieuc. Ce plasticien, qui « n’avait jamais vu la mer », est saisi par la discussion graphique et livre quatre planches, soudaines, un cadeau pour l’interlocuteur inconnu. De son côté, Baudoin entame une résidence à Vitrolles, pour aboutir au livre La Mort du peintre (6 pieds sous terre). Quelques mois avant que le Front national ne conquière la ville, il y décrit un climat pesant, et parle de façon prémonitoire de frontière et de violence.
Comme toujours, il parle aussi d’amour et de danse, ceux qui l’ont croisé reconnaîtront des mots écrits mille fois, mais toujours avec autant de sincérité. Plus rare, il évoque ses enfants : sa fille adolescente, le nouveau regard du monde sur elle, son fils ne voulant pas partir d’un lieu avant d’avoir inscrit chaque image dans sa mémoire. Et bien sûr, les projets, dont un avec l’Abbé Pierre. Là aussi, l’effervescence de projets incroyable chez Baudoin frappe, et ne change pas : La Diagonale des jours est son quatrième livre sur 2017-2018.
Les thèmes sont variés, allant de l’anecdote aux grandes réflexions sur le monde, de l’intime au global, les liant entre eux. La confrontation entre les pages extrêmement travaillées, dans le langage comme la forme, de Dolhollau, et celles de Baudoin semblant jetées à la volée mais sans irrespect, pour saisir l’instant, fonctionne étonnamment bien. La Diagonale des jours a réuni ces deux ans de discussions dans un livre chez Apogée en 1995, le concluant par un « à suivre… ».
C’est cette suite qui arrive, après une très longue pause, chez Des ronds dans l’O. Elle a mis du temps à venir, y compris entre les épistoliers : c’est Tanguy Dohollau qui renvoie une lettre en août 2017, alors qu’il a visité le village natal de son ami et marché dans la Roya. De cette Roya où ils se retrouvent, aux côtés de Cédric Herrou et les dizaines de réfugiés qu’il accueille, un autre livre est né.
Baudoin reprend alors, en tous les sens du terme, en se replongeant dans la correspondance, redessinant des pages envoyées des années plus tôt, une leçon de recul et d’apprentissage. « Il arrive que je n’aime pas ce que j’écris et ce que je dessine », dit-il, liant ainsi ces pages anciennes et la conversation nouvelle. Passé mais actuel, le tout en même temps, c’est en somme la promesse que toute réédition devrait tenir.
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La Diagonale des jours.
Par Tanguy Dohollau et Edmond Baudoin.
Des ronds dans l’O, 18 €, août 2018.
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