Tanquerelle : Tintin au Groenland
Nouveau cap pour Hervé Tanquerelle. Le dessinateur nantais, après des collaborations avec Gwen de Bonneval, Appollo ou David B., s’est enfin lancé seul dans le grand bain de la création. Un bain d’eau glacé, car son album s’inspire d’une expédition au nord-est du Groenland. L’occasion de convoquer l’héritage d’Hergé, inspiration de toujours de l’auteur, qui lui rend dans Groenland Vertigo un savoureux hommage. Tout en affirmant ses nouvelles envies d’auteur complet.
Quel était l’objet de votre voyage au Groenland ?
Trois expéditions réunissant scientifiques et artistes avaient été organisés par des Danois, dans le but de faire découvrir le nord-est du Groenland, son parc national, la beauté des fjords. Convié lui aussi, l’écrivain Jorn Riel, dont j’avais adapté les Racontars arctiques avec Gwen de Bonneval, avait glissé au capitaine qu’un auteur de BD français avait travaillé sur ses textes, et c’est ainsi que j’ai été invité à l’un des voyages. Je n’avais pas d’idées précises en tête quant à ce que j’en ramènerais. Je me disais que les croquis, notes et photos pris sur place me serviraient forcément à quelque chose, notamment pour le tome 3 des Racontars.
Mais pourtant, au retour, vous ne produisez rien de plus que ce tome 3.
J’avais tout de même dans l’idée de faire une sorte de reportage, mais la barrière de la langue – je ne parle pas danois et suis peu à l’aise en anglais – m’avait empêché d’avoir des discussions approfondies avec les membres de l’équipage. J’avais l’impression d’être resté à la surface des choses, en tout cas de ne pas avoir suffisamment de matière pour un reportage digne de ce nom. J’avais donc fait une croix là-dessus. Mais dans le même temps, je cherchais une idée de scénario pour un album que j’aurais réalisé seul, sans trouver de piste intéressante. Heureusement, mes copains Brüno (Tyler Cross) et Gwen de Bonneval m’ont suggéré l’idée de transformer mon expérience en fiction. C’était évident pourtant ! Je pouvais transformer mon voyage en histoire, comme Hunter S. Thompson (Las Vegas Parano) quand il dérivait lors de ses reportages. Je pouvais écrire mon propre Racontar !
Comment s’est déroulée l’écriture ?
Ce fut une très longue souffrance ! Le plus compliqué était de mêler tous les éléments que j’avais en tête et en mains. D’abord, mon journal de bord de l’expédition, qui me fut très précieux. Ensuite, évidemment, l’univers des Racontars, puisque j’étais en plein dedans. Enfin, le monde d’Hergé, car dès le début, c’était très clair pour moi que je piocherais dedans.
Qu’est-ce qui a amené Hergé dans ce projet ?
La référence à Hergé a toujours été présente en moi. Ma mère était fan et ses albums ont constitué mon premier contact avec la bande dessinée. Tintin était très présent dans la famille : on s’amusait parfois à empiler des BD sur la page d’un album pour ne laisser apparaître qu’une vignette, pour faire deviner de quel tome il s’agissait. Je n’ai jamais cherché à cacher cette influence, car la grammaire et le vocabulaire narratifs d’Hergé sont ancrés en moi. Quand je dessinais les Racontars arctiques, il était ma principale influence, notamment dans le registre de l’humour, à la fois fin et truculent. Enfin, lors de l’expédition au Groenland, la référence à L’Étoile mystérieuse m’a sauté aux yeux, car notre bateau passait par les mêmes endroits que celui de Tintin.
Avez-vous travaillé avec L’Étoile mystérieuse ouvert à côté de vous ?
Non, même si je le parcourais de temps en temps, sans vraiment le lire. En revanche, j’ai emprunté, de mémoire, une séquence à Tintin au Tibet, celle où Georges dévale la pente, et j’ai vérifié que je n’avais tout de même pas trop copié.
Vos personnages aussi évoquent ceux d’Hergé.
Bien sûr, l’évocation est présente à travers eux. Le personnage de l’écrivain, inspiré de Jorn Riel, ne ressemble pas du tout à Riel, mais serait plutôt un mélange entre le capitaine Haddock et mon beau-père. Jorn Riel est en effet quelqu’un de discret, plutôt taiseux, à l’humour extrêmement fin. À 80 ans passés, il arbore en permanence le petit sourire et l’oeil goguenard de celui qui a vécu tellement de choses qu’il prend désormais le présent comme il vient. Je pense qu’il a un côté anarchiste et individualiste en lui. Dans ma BD, j’en ai fait un protagoniste bien plus truculent.
Si on vous le proposait, seriez-vous prêt à dessiner une aventure de Tintin ?
Oh ! Oui, ce serait tentant ! Mais pas de reprendre la série, la pression serait trop forte. En revanche, l’idée d’un « Tintin vu par… » m’intéresserait, comme ce qu’a fait Matthieu Bonhomme avec Lucky Luke. Je pense qu’il y a une carte à jouer dans ce registre, pour montrer que ces séries ne sont pas juste un patrimoine plein de poussière. Mais déjà, avec Groenland Vertigo, j’ai un peu fait un Tintin à ma manière.
Graphiquement, comment avez-vous relevé le défi de l’hommage ?
En réalité, je n’avais pas comme objectif de dessiner dans le style d’Hergé, même si j’ai dû tendre davantage mon trait, afin d’être moins mou ou caricatural. Pour les décors, j’ai choisi une tonalité à la fois plus graphique et plus réaliste. Pour les couleurs, j’ai parfois donné des consignes très précises à Isabelle Merlet, notamment sur les lumières ou la couleur du ciel, photos à l’appui. Mais je lui ai aussi les mains libres, et j’avais toute confiance notamment dans sa capacité à colorer les gris. Ce qui n’est pas facile et qu’elle avait parfaitement réalisé sur Les Voleurs de Carthage.
Le graphisme de l’album est le résultat d’une convergence de styles essayés dans Les Faux Visages, La Communauté et les Racontars. Cela m’est venu naturellement, et j’ai pris beaucoup de plaisir – plus que sur l’écriture, qui était davantage un travail laborieux de couture entre tous les éléments que je voulais inclure et la difficulté de faire que les fausses anecdotes ne se voient pas trop. Pour revenir au dessin, je pense avoir trouvé un style qui me convient, et que je pourrais réutiliser.
Cet album marque-t-il un cap dans votre carrière ?
Cela faisait longtemps que je voulais mener une expérience en solo, ce que j’avais jamais fait sur une histoire longue. Notamment pour des questions financières, car dessiner un scénario déjà écrit va plus vite. Mais je me disais que si je ne le faisais pas, j’en garderai une certaine amertume. Cela a généré beaucoup d’angoisses, mais il fallait que je franchisse le cap !
Votre prochain projet sera-t-il aussi en solo ?
Non, et d’ailleurs je changerai encore de style graphique – je suis un dessinateur modulable ! Il s’agit d’un projet en trois gros volumes, scénarisé par Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval, et pour lequel Fred Blanchard a conçu le design global. C’est intitulé Le Dernier Atlas et le premier tome devrait sortir chez Dupuis début 2019.
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Groenland Vertigo.
Par Hervé Tanquerelle.
Casterman, 19 €, le 18 janvier 2017.
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Interview très intéressante et l’album a l’air excellent !!!
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