Tanxxx, prix Artémisia 2009
Elle préfère répondre aux interviews l’après-midi plutôt que le matin, et fume des clopes pendant qu’on l’interroge par téléphone. Tanxxx, 32 ans, sort sa troisième BD (écrite par Lisa Mandel) et son deuxième art-book. Deux livres au graphisme incisif en noir et blanc, évoquant Charles Burns et l’iconographie des posters de rock. Avec une touche féminine en plus, qui fait d’elle l’un des vrais espoirs du neuvième art.
Interview publiée en octobre 2008, dans BoDoï 122. Nous la republions aujourd’hui, car Tanxxx vient de remporter, avec Lisa Mandel, le prix Artémisia de la bande dessinée féminine 2009, pour Esthétique et filatures.
Comment êtes-vous venue à la bande dessinée ?
Je dessine depuis que je suis toute petite, mais je ne me voyais vraiment pas faire de la BD. Je pensais que c’était un truc réservé à une élite obscure, ou quelque chose comme ça. J’ai atterri aux Beaux-Arts d’Angoulême, en section art. Du coup, à part la première année, je n’y ai plus dessiné du tout. Car là-bas, le dessin n’est pas considéré comme une fin, mais comme un outil. En sortant de l’école, je souhaitais donc continuer à créer mes installations.
Qu’est-ce qui vous a ramené au dessin ?
J’ai emménagé à Bordeaux, dans un petit appartement. Je n’avais donc plus la place ni les moyens dont je disposais aux Beaux-Arts. Poussée par mon copain de l’époque, le dessinateur Rica [qui sort un art-book en même temps que celui de Tanxxx aux éditions Charrette], j’ai redécouvert la pratique du dessin. Et, au bout d’un moment, comme ce n’est pas très drôle de ne dessiner que pour soi, j’ai lancé un site en 2004.
Vous y vendez des dessins, écrivez des comptes-rendus de concert, publiez des strips… Et vous parlez d’argent, de contrats…
Ces histoires de droits ont été un gros problème au début. Il est parfois très difficile de faire reconnaître le travail d’un illustrateur et de faire comprendre aux gens qu’on ne travaille pas pour rien. J’ai découvert plusieurs fois que des dessins publiés sur mon site se retrouvaient un peu partout, même sur des flyers de concerts. Alors que j’aurais pu leur proposer un dessin original pour presque rien, si on me l’avait demandé ! Mais il n’y a pas que les petites structures qui profitent des auteurs : à certains éditeurs aussi, je dois parfois rappeler que je ne fais pas de planches gratuitement.
Comment avez-vous rencontré Lisa Mandel, la scénariste de Esthétique et filature ?
Elle m’a contactée après avoir visité mon site et m’a proposé son scénario, qu’elle avait en tête depuis longtemps. C’était exactement le genre d’histoire que je voulais raconter en BD, sans être capable de l’écrire moi-même. Comme dans la série Love & Rockets des frères Hernandez – qui est une référence pour moi -, les héroïnes ne sont pas des personnages extraordinaires, mais il leur arrive des choses suffisamment intéressantes pour faire un bon livre.
L’une est une ado rebelle, l’autre une femme plus mûre en décalage par rapport à sa famille et son boulot. Ce sont des révoltées. Un peu comme vous, non ?
Oui, d’une certaine manière, et c’est ce qui me parlait dans ce récit. Elles veulent vivre leur vie, leurs expériences, sans qu’on leur dicte une conduite et sans penser au qu’en-dira-t-on.
Il s’agit aussi d’une histoire d’amour. C’est votre côté fleur bleue ?
Oui, j’en ai un aussi !
Cet album est votre premier récit au long cours (120 pages). En quoi ce travail fut-il différent de celui fourni pour vos autres livres ?
Au départ, je ne me sentais pas du tout capable de m’attaquer à une si longue BD. Finalement, j’ai avancé tout de suite très vite. Puis j’ai fait une grande pause, parce que je ne faisais plus rien d’autre à côté, et j’avais besoin de respirer. Il faut faire attention avec la bande dessinée, car c’est tellement prenant que ça peut nuire à la vie sociale.
Une partie de l’histoire se déroule sur le tournage d’un film porno gay. Vous-êtes vous beaucoup documentée sur le sujet ?
Pas vraiment. Avec Lisa Mandel, nous voulions mettre en scène des personnages types, presque caricaturaux. Et nous sommes allées assez loin dans les clichés avec ces séquences de porno gay. Inventer un acteur nommé Demon Dick, doté d’un masque de bourreau et d’une grosse bite, c’était vraiment marrant !
Propos recueillis par Benjamin Roure
Encore plus de Tanxxx par ici!
Images © Tanxxxx – Casterman – Éditions Charette
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