Terra Doloris
Après l’impressionnant et passionnant Terra Australis, Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux poursuivent le récit de la naissance de l’Australie, colonie si lointaine de l’Empire britannique. Enfin, il s’agit ici plutôt de l’histoire en creux de cette colonisation, car finalement, sur les quelque 340 pages de ce nouveau pavé, seule une petite partie se déroule sur l’île continent. En effet, les auteurs, dans deux chapitres bien distincts, se concentrent sur la trajectoire de deux des premiers colons établis là-bas. Deux prisonniers condamnés à la déportation, qui ont réussi à s’évader et dont le destin a fait voir au monde – du moins rétrospectivement – la violence et l’aveuglement des Anglais dans leur ambition d’expansion.
Là où on s’attendait à continuer à observer la colonisation de cette vaste terre des confis du monde, on assiste donc plutôt à deux récits biographiques successifs, qui se rejoignent dans leur thématique sociale, politique et historique : comment demander à des prisonniers de s’approprier une nouvelle terre sans leur reconnaître un statut de citoyen ? comment croire qu’un pénitencier à ciel ouvert et avec un semblant d’autonomie quotidienne serait vraiment plus facile à supporter, quand on est une âme éprise de liberté ? En suivant le périple de Mary Bryant, devenue épouse et mère là-bas, avant de s’évader et de perdre mari et enfants dans sa fuite, puis la route semée d’embûches diplomatiques et militaires de Thomas Muir d’Huntershill, révolutionnaire écossais, Laurent-Frédéric Bollée décrit une fin de XVIIIe siècle mouvementée. C’est la Révolution française, c’est l’esprit de liberté des Lumières qui souffle, c’est l’espoir d’un monde plus juste et plus égalitaire. L’utopie australienne aurait pu l’incarner. Mais cette nouvelle terre s’est construite sur des fondations biaisées et fragiles. Et, comme toute colonisation, dans le mépris voire l’écrasement des autochtones. Cela, le scénariste le narre, dans un beau moment de grâce, lors d’un interlude entre les deux chapitres, en forme de monologue s’adressant à un aborigène qui a cru pouvoir nouer des liens sincères avec l’envahisseur en anglais. À tort. Au dessin, son complice Philippe Nicloux propose un noir et blanc aisé d’accès, sobre dans son trait mais un peu systématique dans ses cadrages et pas toujours très élégant dans ses effets de « lavis numérique ». Toutefois, hormis quelques doubles pages un peu trop jetées, il campe bien ses personnages et brosse des décors palpables. L’ensemble est très cohérent, passionnant à suivre, et offre une belle suite à Terra Australis, dans le même esprit de faire vivre la bande dessinée historique par la grande aventure humaine.
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