On ne l’avait pas vu venir, mais elle se répand. Une maladie, insidieuse, se transmettant par de viriles poignées de mains et qui ne touche que les hommes : une vilaine variante des oreillons, qui fait gonfler les testicules et entraîne une rapide chute du taux de testostérone chez les mâles atteints. Jean-Patrick, habile concessionnaire auto dans une zone d’activité, et caricature de beauf macho à la française, est touché à son tour. Une malédiction pour lui dont le père n’a cessé de lui répéter que pour réussir, « il faut sortir la boîte à couilles », et qui n’est entouré que de superbes spécimens de masculinisme, à commencer par le charismatique Jo, gérant de la salle de sport. Ou alors, au gré de sa nouvelle amitié avec une jeune collègue mécano et un adorable chien abandonné, c’est un nouveau Jean-Pat’ qui pourrait s’ouvrir au monde…

Il en fallait du courage et du talent pour mélanger, dans une même fiction, les Gilets Jaunes, l’épidémie de Covid-19, le complotisme et le mouvement #MeToo, mais sans s’y référer directement. Luz n’en manque pas, on le savait, et cet opus le prouve une nouvelle fois, en allant même au-delà des espérances. En effet, le dessinateur de Vernon Subutex pousse la caricature loin, très loin, mais sans jamais se moquer gratuitement ni des uns ni des autres. Son discours s’appuie sur des réalités sociologiques finement brossées et non sur des clichés de bas étage : ni ses activistes féministes, ni ses prolos masculinistes, ni ses ados en recherche d’identité ne restent à l’état de marionnettes parodiques, leurs portraits sont tous riches de nuances subtiles, même quand les personnages virent dans l’outrance.

Ainsi, au fil d’une BD fleuve de 300 pages, Luz prend le temps de faire évoluer ses protagonistes, d’évaluer les implications possibles d’une telle épidémie saugrenue, de montrer l’éloignement des politiques et médias nationaux centralisés des préoccupations du terrain… Et surtout de faire rire en même temps que réfléchir. C’est là sa grande arme : bousculer, irriter, remettre en question les a priori de ses lecteurs, tout en provoquant de grands éclats de rire par des punchlines terribles, des situations grotesques et un dessin inventif et puissant. Luz est décidément un des meilleurs dessinateurs de bande dessinées d’humour en même temps qu’un des plus fins observateurs de notre société.