The Private Eye
2076, Los Angeles. En explosant et révélant beaucoup de secrets, le Cloud, immense réceptacle de données confidentielles, a détruit des vies. Internet n’existe plus, comme les smartphones et autres Ipad, remplacés par la Teevee, les cabines téléphoniques et des tubes pneumatiques pour délivrer des messages sur papier. Les individus, eux, se cachent derrière des masques et des costumes, gardant leur identité secrète sous des pseudos. Dans ce contexte, et pour savoir à qui elle a affaire, une femme engage un paparazzi – un détective privé sans licence. Son nom, P.I. Il doit par tous les moyens trouver des infos sur… sa cliente ! Mais voilà, alors qu’il venait d’accepter la mission moyennant finances, la femme est assassinée chez elle… Début d’une enquête tortueuse, entre complot et projets mégalos.
Publié sur Internet depuis 2013, The Private Eye est née d’une question à laquelle l’auteur, Brian K. Vaughan (Saga, Paper Girls, Lost, Le Dernier Homme…), n’avait pas de réponse. Il lui fallait donc la trouver. La croisade que mène notre génération contre la vie privée est-elle un bien ou un mal pour la société ? Le scénario y répond à sa façon, sans juger. Brian K. Vaughan imagine donc un polar futuriste ancré dans un avenir loufoque mais crédible, celui de la postmodernité en mal de réseaux. Le Wonderwall protège la ville de l’océan, les individus portent des nymes – masques seulement autorisés à la majorité – et des onifripes, sortes de capes d’invisibilité. Google et Face quoi ? (book) sont des vieilleries tombées dans l’oubli. Livres et bibliothèques sont devenus les gardiens du temple alors que le Quatrième pouvoir (les journalistes aux lunettes noires, les plus puissants agents de maintien de la loi) veille sur la sécurité de la ville. Les personnages sont des archétypes profonds et attachants – PI le détective multiculturel (et gay?), le grandpa grincheux et réac’, nostalgique des Macintosh, Mélanie l’ado sans nyme, une femme fatale – et l’intrigue est un régal de fluidité.
Dans une ambiance urbaine spectaculaire, Brian K. Vaughan balade son lecteur avec un polar stimulant et mène une puissante réflexion sur les enjeux des nouvelles technologies, fossoyeuses de nos libertés et de notre intimité. Sans en faire des tonnes, l’album enchaîne les scènes cocasses (au regard de notre présent) et les interrogations fécondes avant l’épilogue, un modèle du genre. Addictif, drôle et fun, le comics en format à l’italienne trouve aussi le parfait complément dans le visuel de Marcos Martin. Couleurs pop, cadrages dynamiques, précision clinique du trait donnent un coup de fouet à ce polar malin, qui se veut aussi un splendide plaidoyer pour le livre (et les bibliothécaires!). Et comparer The Private Eye à Blade Runner, c’est un peu lui ôter toute son originalité et sa modernité. Un des comics de l’année.
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