Thierry Gloris, la fantastique ascension d’un jeune scénariste
Thierry Gloris a 36 ans et déjà près d’une quinzaine d’albums à son actif. Pourtant, cet historien de formation ne se destinait pas à la bande dessinée. Mais la vie l’a aiguillé vers le 9e art, où il creuse notamment le sillon d’une fiction teintée de fantastique, bourrée de références à la littérature du XIXe et du début du XXe siècle, à la fois divertissante et exigeante. Alors que viennent de paraître les suites du superbe Waterloo 1911 et de Malgré nous, et que le deuxième volume de Missi Dominici sort à la fin du mois, il était largement temps d’en savoir plus sur ce jeune scénariste qui monte.
Pourquoi, avec un DEA d’histoire, choisir de devenir auteur de bandes dessinées ?
C’est la question que me pose toujours ma mère ! En fait, le choix de la BD est naturellement venu de mon parcours. J’ai suivi des études d’histoire, par passion. J’ai passé des diplômes et me suis rendu compte du peu de débouchés dans cette filière. J’ai exercé comme surveillant, effectué quelques remplacements, mais sans ressentir une vocation. J’avais toujours été fou de BD, mais sans imaginer en faire mon métier. Et puis ma fille est née, et je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de ma vie. Pour pouvoir lui dire que son père avait fait ce qu’il désirait vraiment faire. J’ai donc décidé de devenir scénariste de bandes dessinées.
Comment votre carrière a-t-elle démarré ensuite ?
Je me suis mis à écrire énormément de choses. Dans tous les sens. Mais la plupart n’étaient pas bonnes, et je me suis pris de grosses gamelles auprès des éditeurs ! Je ne connaissais personne dans le métier et j’habitais loin de Paris, ce qui ne facilitait rien. Quand la première réponse positive est arrivée – de chez Delcourt pour Le Codex angélique -, je me suis dit : « Enfin ! ». Car j’étais persuadé qu’à force de travail, j’y arriverai. Et ce premier contrat tombait bien, puisque je l’ai signé le jour où mes droits aux Assedics prenaient fin.
Waterloo 1911, Le Codex angélique, Aspic… Nombre de vos séries se déroulent dans la période fin XIXe – début XXe. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce moment de l’Histoire ?
A mon sens, il est assez semblable à la nôtre, car il a connu des développements technologiques incroyables, tout en portant de grandes angoisses. À cette différence près que le monde contemporain a perdu de son allant, de son énergie, du moins dans la vieille Europe. Tout cela fournit des matériaux riches pour tracer des destins hors du commun.
Ces trois séries se fondent aussi sur des enquêtes policières…
Oui car, quand on pense fiction du XIXe siècle, on évoquer forcément Sherlock Holmes ! J’ai voulu m’amuser avec ça, et revenir à des enquêtes où la science n’était qu’un élément de l’investigation. Je déteste la série télé Les Experts qui prétend que la technologie peut tout résoudre. Une histoire, comme une enquête, est avant tout composée de personnages, de relations et d’une bonne dose de hasard.
D’où vient votre attrait pour le genre fantastique, qu’on retrouve dans les séries citées, mais aussi dans Missi Dominici ou Saint-Germain ?
J’ai découvert les écrits d’Edgar Poe sur le tard alors que j’avais gagné un concours, sur le thème de la résistance je crois. J’avais remporté une pile de bouquins, dont un volume de ses Histoires extraordinaires. Ce fut une révélation ! J’étais un grand lecteur de Hugo ou Stendhal et je découvrais qu’on pouvait écrire comme eux et apporter une touche fantastique aux histoires; être un grand classique littéraire et intégrer du rêve, de la fantasmagorie. Ensuite, j’ai eu le même genre de choc avec les romans de Lovecraft. Je me suis servi de ce goût pour la littérature fantastique comme d’une béquille pour mes scénarios de BD : cela m’a permis d’oser me lancer, de libérer mon imagination.
Dans Waterloo 1911, une enquête aux accents fantastique dans un monde uchronique, votre détective privé, Duroc, est une sorte de colosse assez atypique.
Cette série, qui est l’une des premières BD que j’ai écrites, mène sa vie propre. Elle est un peu en train de m’échapper, mais dans le bon sens. Le dessinateur, Emiliano Zarcone, prend tellement part à la création de l’univers que j’adapte sans cesse mon histoire à sa vision. Il a sans doute, dès le départ, mieux senti que moi le potentiel baroque du scénario. Ça déborde de partout, c’est un exercice de funambule, mais j’en suis très content. Concernant mon héros, je ne l’avais pas imaginé si massif, mais quand Emiliano le dessine, je retrouve quand même le Duroc que j’avais conçu : une sorte d’Atlas mythologique, un personnage qui soutient tout l’univers. Car, sans vouloir en dire trop, Waterloo 1911 est une sorte de mise en abyme de la création : ce n’est pas moi le créateur de l’histoire, c’est mon héros. De plus, j’ai voulu aborder dans cette série le thème de la nation, de la patrie. Un thème très fort, pas évident à intégrer dans une BD de divertissement. C’est peut-être une erreur de jeune scénariste…
En 2009-2010, vous avez publié des albums hors du champ fantastique. Vous n’avez plus besoin de béquille ?
Peut-être un peu moins. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire Malgré nous [une série sur l’Occupation allemande en Alsace-Lorraine], mais je dois souligner que le travail de recherche sur ce type de récits est finalement assez proche de celui de mes séries fantastiques : l’objectif est de construire un univers crédible, pour que les lecteurs croient au scénario. Pour Ainsi va la vie [un one-shot sur les 20-40 ans d’aujourd’hui], j’ai voulu m’adresser aux hommes et femmes de ma génération, créer un album plein de références, comme un miroir de soi-même. En revanche, Tokyo Home [un manga tous publics sur une jeune fille qui s’envole pour le Japon, afin de rejoindre son père] était pensé comme un essai de communication avec ma fille. Un album gentillet, mais qui m’a demandé un gros travail sur les dialogues, afin de faire passer des choses entre moi, auteur trentenaire, et une fillette de dix ans. L’important pour moi est de m’adresser directement au lecteur, qui ne sera pas toujours la même personne selon les livres.
Comment appréhendez-vous le développement de la bande dessinée numérique ?
C’est un domaine qui m’interpelle réellement, notamment pour ses potentialités narratives, mais il y a quand même une chose qui me dérange : je ne vois pas de modèle économique se dégager. À mon sens, certains albums ne pourront jamais avoir une vie intéressante sur écran. Par exemple, pour parler des miens, Le Codex angélique est uniquement conçu pour le format papier. En revanche, j’imagine assez bien une transposition de Saint-Germain, qui est une série plus facile, plus virevoltante… Je pense que le format numérique est bien adapté pour la BD populaire, mais beaucoup moins pour la bande dessinée d’auteur.
Quels sont vos projets ?
Outre les séries en cours, j’ai plusieurs nouveaux projets. Maintenant, on vient me chercher pour me proposer du boulot, je suis content ! Je vais ainsi travailler sur une série concept, dont je ne peux pas parler pour le moment. Mais écrire sous contrainte me plaît bien, comme le fait de ne pas m’engager pour cinq ou six ans sur un même projet. Par ailleurs, je travaille sur une mini-série historique. Et enfin, je vais lancer avec Joël Mouclier une nouvelle série chez Delcourt : Méridia, qui se déroulera dans une sorte de monde « Renaissance fantasy ».
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Waterloo 1911 #2.
Par Emiliano Zarcone et Thierry Gloris.
Delcourt, 13,50 €, le 25 août 2010.
Achetez-le sur Fnac.com
Missi Dominici #2.
Par Benoît Dellac et Thierry Gloris.
Vents d’Ouest, 13,50 €, le 29 septembre 2010.
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Malgré nous #2.
Par Marie Terray et Thierry Gloris.
Soleil/Quadrants, 10,50 €, le 25 août 2010.
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Images © Zarcone-Gloris / Delcourt
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Je n’avais jamais remarqué les livres de ce scénariste, mais votre article me donne envie d’emprunter un de ses livres à la médiathèque.
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