Tian en quête de souvenirs cambodgiens
Né en 1975 au Cambodge, Tian a vécu alors qu’il était bébé la prise de pouvoir des Khmers rouges, puis l’exil forcé dans un village. Réfugié en France, il est devenu illustrateur. L’artiste de 36 ans détaille sa première bande dessinée au long cours, L’Année du lièvre, dans laquelle il représente en trois tomes – dont deux à paraître – l’épreuve traversée par sa famille.
Que raconte votre future trilogie ?
Elle retrace l’aventure de ma propre famille, la vie de mes parents et de quelques proches qui, pendant cinq années de troubles, ont réussi à survivre. Il m’a semblé important de réaliser cet ouvrage pour réactiver une mémoire, témoigner d’une histoire traumatisante. J’avais envie de partager cela, à la fois avec la communauté cambodgienne et avec ceux qui ne l’ont pas vécue.
Qu’est-ce que l’année du lièvre, qui donne son titre à cette bande dessinée ?
Le lièvre est un signe astrologique d’une année de l’horoscope khmer. Le 17 avril 1975, les Khmers rouges ont pris le pouvoir, souhaitant marquer une nouvelle ère. Je suis né trois jours après la prise de Phnom Penh, alors que mes parents en étaient évacués – comme la majeure partie de la population. Ils appartenaient à un milieu intellectuel et bourgeois. Mon père était médecin, et avait eu la présence d’esprit de prendre un peu de matériel médical pour préparer ma naissance.
Qu’arriva-t-il aux vôtres dans les mois qui suivirent l’évacuation de la capitale ?
Il fallut subir un voyage lent et difficile, dans un dénuement croissant, vers un village. A l’époque, une confusion totale régnait : certains croyaient à l’idéologie marxiste des Khmers rouges, qui voulaient rendre la société plus juste et supprimer la corruption. Le doute était constant, entretenu par la propagande et les rumeurs. Et puis certains Khmers rouges se montraient humains, certaines zones étaient moins violentes que d’autres. J’ai voulu montrer ce ballottement, l’espoir du peuple de voir des jours meilleurs.
Gardez-vous des souvenirs de ces événements ?
Non, pas vraiment. Seulement des bruits, des odeurs, et une sensation de faim. A la campagne, j’étais dans une garderie gérée par de jeunes villageois, éloigné de mes parents. J’ai longtemps cru qu’il était normal de ne pas se remémorer sa petite enfance.
L’Année du lièvre sert-elle pour vous de thérapie ?
En quelque sorte, oui. Elle me permet de faire le deuil du passé en le fouillant. Après mes études aux Arts Décoratifs de Strasbourg, je suis allé au Cambodge pour aider des enfants sourds et aveugles, et tenter ainsi d’apporter quelque chose à mon pays. Mais cela me paraissait insuffisant, il fallait que j’entreprenne des recherches sur ma propre histoire.
Pourquoi avoir réalisé une bande dessinée, alors que vous peignez et faites aussi de la linogravure ?
La BD m’a semblé être le médium idéal pour partager tout cela avec un large public. Et puis Maus d’Art Spiegelman m’avait servi de déclic : à travers son expérience, j’ai compris qu’un album pouvait servir de témoignage.
Comment avez-vous bâti votre scénario ?
Cela m’a pris trois ans. Je me suis beaucoup documenté pour recréer le contexte politique et historique, et j’ai recueilli les témoignages de différents membres de ma famille, dont mon père. Ça a été parfois difficile, car je réveillais des douleurs en eux. Récemment, ils se sont rendu compte qu’un livre pouvait parler à leur place, et que ça les libérait.
Comment avez-vous travaillé, techniquement ?
L’Année du lièvre était ma première histoire longue, j’étais très angoissé à l’idée de dépasser dix pages… J’ai usé d’un dessin très lâché, au départ prévu en noir et blanc. La collection Bayou demandait toutefois de la couleur, alors je l’ai choisie discrète pour mettre le trait en valeur et créer un sentiment de nostalgie. J’ai passé un an et demi à réaliser le premier épisode, et je suis prêt à attaquer le deuxième.
Comment avez-vous trouvé votre éditeur ?
J’avais d’abord soumis mon scénario à Lewis Trondheim, que je connaissais. Il voulait bien m’éditer chez Delcourt, mais en un seul volume de 360 pages. Cela me semblait trop lourd, alors il m’a conseillé de frapper à la porte de Gallimard. Et ça a marché.
Quels sont vos projets ?
J’aimerais continuer à évoquer le Cambodge, donner la parole à certaines personnalités qui ont essayé de changer le pays. Mais aussi raconter la vie du peuple khmer aujourd’hui, sous un angle humoristique; montrer comment il continue à vivre malgré un passé tragique. Pour moi, la vie des gens, leur culture et leur milieu sont des sources d’inspiration inépuisables.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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L’Année du lièvre #1.
Par Tian.
Gallimard/Bayou, 17€, le 7 avril 2011.
Images © Gallimard – Tian.
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Je ne peux que conseiller cet ouvrage, étant moi-même de père khmer et de mère française j’ai trouvé cette BD fantastique malgré la trame (régime Khmer Rouge)!
Un grand bravo à son auteur et vivement la suite!!Stephane
worthy1977@gmail.com -
Je ne peux que conseiller cet ouvrage, étant moi-même de père khmer et de mère française j’ai trouvé cette BD fantastique malgré la trame (régime Khmer Rouge)!
Un grand bravo à son auteur et vivement la suite!!Stephane
worthy1977@gmail.com -
Bonjour, je crois savoir que Tian a un blog mais je ne le retrouve pas sur google. Auriez-vous une idée de l’adresse svp ?
En vous remerciant
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Bonjour, je crois savoir que Tian a un blog mais je ne le retrouve pas sur google. Auriez-vous une idée de l’adresse svp ?
En vous remerciant
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