Tomino la maudite #1
Deux jumeaux sont abandonnés, alors qu’ils n’ont pas un an, dans le Japon des années 1930. En grandissant, maltraités par une famille désargentée, ils développent des attitudes étranges, jusqu’à se délecter de vers à soie. Ils sont finalement cédés à un entrepreneur de spectacles, qui exhibe dans les foires ses phénomènes : fille aux membres innombrables, enfant velu comme un ours, etc. Une nouvelle famille pour les jumeaux, qui se révèlent télépathes. Mais les appétits pervers et les plus bas instincts de leur entourage président aux destinées de ces pauvres « freaks », et c’est un enfer d’humiliations, de mutilations et de mensonges qui s’ouvre devant eux.
Maîte de l’ero-guro (érotico-grotesque), Suehiro Maruo revient avec une oeuvre fleuve et fascinante. Dans une narration déliée, qui prend le temps de poser décors et personnages, il instille le malaise et le laisse exploser par moments dans des séquences fortes et dérangeantes. Peut-être moins suintantes et frontales que dans des mangas comme La Chenille, mais dans la même verve romantico-gore que L’Enfer en bouteille. Son trait d’une impressionnante finesse magnifie des compositions audacieuses, et lui permet d’explorer une immense palette d’expressions pour ses personnages. Même si les plus flippants sont finalement ses jumeaux impassibles. Le monde des freaks, en hommage assumé au cinéaste Tod Browning, lui sied parfaitement, car il lui permet de triturer ses obsessions – la difformité, les plaisirs bizarres, la domination, les croyances limites… Et son texte brosse une poésie macabre et hallucinée assez unique, qui résonne de belle manière sous la plume de sa traductrice Miyako Slocombe (récompensée par Angoulême cette année, du Prix Konishi)
Plonger dans Tomino la maudite, c’est s’offrir un voyage vers l’inconnu en sachant qu’on en ressortira fébrile et inquiet, hypnotisé par une esthétique unique et bousculé par une histoire qui interroge les limites de l’humanité. On vous aura prévenu.
© Maruo Suehiro – 2014, 2016 – KADOKAWA CORPORATION,Tokyo
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