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Tony Valente : « On a le droit de dessiner du manga en France »

2 juin 2014 |

Dix ans après ses débuts dans le franco-belge, Tony Valente (29 ans) trouve son confort au sein du modèle oriental : 192 pages, monochromie et sens de lecture inversé. « Il arrive que des Japonais croient Radiant d’origine nippone », confie-t-il ! Car pour la première fois, peut-être, est réussi le tour de passe-passe d’un véritable shônen français. Rencontre et décryptage.

TonyValente-portraitUn vecteur d’expression

Avec son sorcier gaffeur au potentiel latent, ses lignes de force exacerbées et sa fantaisie bariolée, Radiant a tout du manga d’aventure à la japonaise. Certes, l’échange de connaissances et les métissages habitent depuis longtemps le paysage culturel mondial, mais qu’est-ce qui peut bien conduire un Occidental à adopter la forme pure du manga, jusqu’au sens de lecture ? Pour Tony Valente, la filiation est avant tout affective : il baigne dans cette culture depuis l’enfance, nourri aux dessins animés japonais puis à leurs homologues de papier. Et s’il dessinait de la bande dessinée franco-belge, avant Radiant, c’était avant tout par défaut : « Je vivais en France et je pensais donc que c’était naturel. »

D’ailleurs, Valente adoptait déjà certains codes du manga dans ses bandes dessinées – il suffit de voir Hana Attori pour s’en convaincre… « Mais je me bridais sur la place que pouvaient prendre l’intrigue ou le développement des personnages », précise-t-il. Voilà pourquoi le terreau du shônen d’aventure, étendu et fortement séquencé, offre une réponse à ses frustrations : « C’est vraiment une construction de série télé. Je peux développer la psychologie des personnages et, graphiquement, je peux rester très près d’eux, montrer ce qu’ils ressentent face à un événement avec des gros plans, des champs/contre-champs, etc. Je suis très attaché à mes personnages, quitte à perdre l’intrigue de vue de temps en temps. Ça risque d’arriver ! »

Pourtant, si la forme est japonaise, impossible d’occulter les racines occidentales du french manga, tout l’intérêt du métissage. « J’ai ancré Radiant dans un univers de fantasy à l’occidentale, raconte Valente. Dans le second tome, je fais référence au Joueur de flûte de Hamelin, par exemple, qui est un conte européen. Il y a aussi le thème de la sorcellerie, de la chasse aux sorcières : tout cela a vraiment attrait à l’histoire de l’Europe. » Mais ce mariage franco-japonais n’est pas du goût de tous…
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Appellation d’origine contrôlée

Attentif au lectorat et à la critique, Tony Valente est conscient que le manga à l’occidentale n’a pas encore gagné sa légitimité. En effet, nombreux sont les internautes à déclarer, d’après lui, qu’ils « n’aiment pas le manga français, de toute façon » et qui snobent automatiquement ce type de production. Quand certains ne comprennent simplement pas qu’un dessinateur français travaille à la japonaise. « C’est complètement raciste de dire que si tu es Français, il faut faire de la BD française. Non ! La BD française n’est pas ma culture, au départ. C’est venu après », explique le dessinateur. «Si je faisais de la musique, cela se rapprocherait du hip-hop américain parce que c’est ma culture, par exemple – et non pas de la chanson française, qui ne me parle pas. Je pense que c’est la même chose avec le manga. »

radiant-planchecouleursLui-même lecteur de manga bleu-blanc-rouge, Valente salue le travail des artistes qui l’ont précédé : « J’aime beaucoup City Hall, qui est assez occidental car il laisse beaucoup de place à l’intrigue, à l’univers, et fonctionne très bien dans ce sens-là. Ainsi que Dreamland, dont je n’ai lu que les premiers tomes, mais que je trouve vraiment bon. Je crois que c’est ce dont je me rapproche le plus. Depuis des années, le travail de Reno Lemaire [l’auteur de Dreamland] a permis de montrer que le manga existe en France, qu’on a le droit d’en dessiner. A présent, beaucoup de lecteurs l’acceptent volontiers. » Mais subsiste un paradoxe, dans le cas inverse : «La critique française adule des auteurs japonais qui veulent faire de la pseudo-BD en France. Ça ne pose pas de problème, alors que dessiner du manga en France, parfois, si. » Bien que les situations ne soient pas symétriques, il est vrai qu’on peut penser à une œuvre telle que Mon année, collaboration entre Jirô Taniguchi et Jean-David Morvan. «C’est un tournant pour la BD franco-belge. Les Japonais pourront se dire qu’il existe une ouverture vers l’Europe, déclarait Morvan. Et ça peut les pousser à découvrir nos albums. » Pourrait-on imaginer un rôle comparable pour le manga français ? Quoi qu’il en soit, « Il faut juger la qualité du travail, pas la provenance », conclut franchement Tony Valente.

Manga : mode d’emploi

Pour un Radiant réussi, combien de tentatives maladroites ? Comment Valente s’approprie-t-il aussi précisément le lexique graphique et narratif du modèle japonais ? « Je n’ai pas l’impression que ce soit aussi proche, quand je regarde mes planches… Pas assez, encore ! », rit l’auteur. « Je n’ai jamais lu ce qu’il fait, mais j’ai l’impression que l’auteur Shonen (Omega Complex, Lords of Chaos) est le plus proche des Japonais, dans la mise en page et dans l’esprit. Quand je vois ses dessins, j’ai du mal à comprendre que ce soit un Français qui dessine ça. C’est vraiment, je trouve, un excellent dessinateur, loin devant les autres, nous qui essayons de faire du manga en France »

radiant-casecouleursLire du manga, encore et encore. Absorber, reproduire. Les voilà, les clés du succès. Ça… et certaines prédispositions, tout de même ! Car si notre homme n’est pas de ceux qui se jettent des fleurs, reconnaissons-lui un talent d’observation aigu ainsi qu’un sens de l’impact adapté à la dynamique du shônen. Par ailleurs, ses références sont les mêmes que celles des auteurs japonais actuels, ce qui mène à certains croisements… tragi-comiques ! « Beaucoup de gens rapprochent Radiant de Fairy Tail. Il faut savoir que je n’en avais lu que deux tomes, à leur sortie, avant de travailler sur Radiant. » Un jour, alors qu’un ami est de passage chez lui, Valente montre les esquisses de son futur manga. L’invité remarque aussitôt quelques ressemblances : « Tiens, c’est marrant : ça, c’est dans Fairy Tail, ça aussi, ça aussi… » Et Valente de répondre que « c’est pas marrant du tout, non ! », avant de se replonger dans le manga d’Hiro Mashima. « Au départ, dans Radiant, le personnage de Mélie s’appelait Ucile. Dans Fairy Tail, il y a une Lucile. Une lettre de différence ! Toutes deux étaient blondes, leur physique se ressemblait pas mal et j’ai donc changé mon personnage, je lui ajouté des tatouages, etc. », explique-t-il. « Même la magie. J’avais appelé ça l’Anima… et dans Fairy Tail il y a l’Anima, aussi. Alors, j’ai troqué ça pour la Fantasia et lorsque Radiant est sorti, à peu près en même temps, Mashima a sorti un art book qui s’appelle Fantasia ! » Pas de surprise, dès lors, en apprenant que le manga favori du dessinateur français n’est autre que One Piece d’Eiichiro Oda, auquel est souvent comparé Hiro Mashima. « On a vraiment les mêmes influences et, malgré nous, on tombe sur les mêmes choses. »

radiant-casenb2En revanche, le rapport entre auteur et éditeur diffère du système japonais. « On ne fait pas de réunions éditoriales après chaque chapitre, pour savoir ce qui va se passer ensuite », clarifie Valente. « Lorsqu’on se concerte, c’est d’abord pour le choix de la couverture ou pour la promotion. Par contre, personne ne décide pour moi de la suite de l’histoire : l’éditeur prend le chapitre clés en mains, fini. » Et le volume sort d’une traite. Un privilège par rapport au mode de prépublication contraignant et frénétique des revues hebdomadaires, où seules quelques vedettes peuvent imposer leurs conditions. Et s’il travaille sans assistant, contrairement à la plupart des auteurs japonais, Valente n’est pourtant pas seul à façonner son œuvre : « Je fais lire mes story-boards à ma compagne parce qu’elle sait où je veux aller avec mon histoire, elle connaît mes influences et mes lectures. On en parle, je me questionne, et j’avance comme ça. »

Actuellement, il dessine le troisième tome – à paraitre cet automne –, qui marquera la fin d’un premier cycle. Gageons qu’un quatrième, cinquième et sixième suivront : succès critique et commercial, Radiant est loin d’avoir livré tous ses secrets…

Propos recueillis par Frederico Anzalone. Remerciement à la librairie Filigranes.
Images © Ankama Éditions – Photo © BoDoï.

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Radiant.
Par Tony Valente.
Ankama, 7,95€, 2 tomes parus.

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Trois planches commentées

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Radiant, tome 1, chapitre 4.

Humeurs et nœuds papillon

En voyant Mélie et ses changements d’humeur, comment ne pas penser à la jolie Lunch de Dragon Ball qui, lorsqu’elle éternue, inverse totalement son caractère ? La comparaison flatte Tony Valente : « Akira Toriyama, c’est la base de tout. Sans Dragon Ball, je ne me serais probablement pas intéressé au manga aussi vite et les dérivés de shônen à la Dragon Ball restent encore, vraiment, le genre qui me parle le plus. Comme Toriyama est l’un de mes auteurs préférés, je suis bien content que Mélie fasse penser à Lunch et que cela soit perçu comme un hommage. Mais en fait, ce n’est pas du tout volontaire ! ». Car au début, Mélie devait avoir le caractère inversé en permanence : « J’ai pensé que cela n’était pas évident de faire entrer dans la tête du lecteur qu’elle est très gentille, normalement, et qu’elle est devenue très méchante, violente et énervée depuis qu’elle a touché un Némésis. Du coup, j’ai décidé de provoquer ce changement par crises, au hasard. Ce n’est qu’après avoir terminé le premier volume que je me suis rendu compte de la ressemblance. En plus, Lunch porte aussi un nœud dans les cheveux ! Si je l’avais découvert plus tôt, j’aurais travaillé le personnage différemment. »

Différence et exclusion

Ayant grandi dans une cité, Tony Valente se sert de son vécu pour mettre en scène la xénophobie et le communautarisme, à travers ses personnages persécutés pour leur différence. « Moi, je suis blanc, alors il n’y avait aucun problème quand je sortais de la cité mais dès que j’étais accompagné de copains, il nous arrivait d’être refoulés au McDo ou d’être surveillés dans les magasins de dessin, alors qu’on était tous dessinateurs et qu’on allait acheter du matériel…» Et cela uniquement, précise un Tony Valente rieur, « parce que l’un de mes potes était très noir !».

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Radiant, tome 2, chapitre 10.

S’il raconte ces anecdotes avec humour, le rire de l’artiste vire au jaune : « Le contexte politique en France commence à me faire peur. Parce que Konrad, le capitaine de l’Inquisition présent sur cette planche, est directement inspiré de quelques citations d’un homme politique français.» Et malgré une référence au Kärcher, le modèle est ailleurs : « Ce n’est pas Sarkozy qui m’a inspiré Konrad, mais le Premier ministre actuel. J’ai pris trois de ses citations, que j’ai trouvées extrêmement racistes, et quand je les ai posées côte-à-côte c’était tellement violent que j’ai choisi de les prendre comme référence. Et c’est fou, ça passe sans problème dans les journaux, à la télé, des années durant ! Il a le droit, dans le cadre des débats politiques, de dire qu’il y a trop de noirs à certains endroits et qu’il faudrait plus de blancs. Que les Roms devraient rester chez eux ou y retourner. »

Rumble Town, théâtre du second tome de Radiant, évoque un autre problème : « C’est un endroit hyper industrialisé qui menace de s’effondrer en permanence, comme la crise qui pèse au-dessus de notre tête. » Dans cette ville, une cloche alerte les citoyens et indique les quartiers à éviter : « Konrad se sert de cette tension permanente, de la chasse aux sorciers et du danger que représentent les Némésis pour affirmer que si l’on a des problèmes, c’est parce qu’il y a trop d’étrangers. Il tient ce discours que tiennent beaucoup d’hommes politiques (qui ne sont pas forcément d’extrême droite, en plus). Tout ce contexte m’effraie vraiment et me préoccupait de plus en plus pendant que je dessinais Radiant. »

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Radiant, tome 2, chapitre 12.

Ciels et mandales

Here comes a new challenger est un leitmotiv des jeux vidéos de combat : « Je jouais à Street Fighter quand j’étais petit. J’ai lâché ces jeux-là, par contre, mais le design des personnages des jeux Capcom [éditeur de la série Street Fighter, ndlr] continue de m’influencer, par exemple. De toute façon, même si je n’y joue plus j’en garde toujours le souvenir et, quand je conçois des scènes de combat, je pense qu’énormément de choses viennent des jeux de combat. Et peut-être même encore plus des films chinois. Ceux de Jackie Chan par-dessus tout, avec ses plans-séquences de cinq minutes où il se bat contre 50 gars !» Malgré tout, le secret du monde de Radiant provient bien des horizons virtuels : « Je suis très influencé par les jeux de rôle japonais. Final Fantasy, Dragon Quest et tous ces univers aériens. » Quant aux îlots flottants de Skies of Arcadia : « Alors là, on est en plein dedans. Ce côté envolé m’influence beaucoup, pour l’ambiance. »

Commentaires

  1. Noonet

    Article très intéressant. Je fais de suite un tweet. Et pour les internautes qui veulent débloquer leur créativité et écrire une histoire ou un scenario de manga, je vous invite a regarder mes cours gratuits sur : http://raconterunehistoire.com

  2. Super article, très enrichissant !

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