Tout l’art de Li Kunwu
À travers la publication en France de neuf ouvrages de bande dessinée entre 2009 et 2016 aux éditions Kana/Urban China, Li Kunwu s’est attaché à dépeindre la Chine d’hier et d’aujourd’hui (Une vie chinoise, Les Pieds bandés, Empreintes…). En 2018, il dévoile de nouveaux talents au sein de deux ouvrages complémentaires, qui montrent qu’il peut s’exprimer par d’autres moyens que le 9e art.
Un premier beau livre sur Li Kunwu
Catalogue de l’exposition « La formidable épopée du Yunnan », autour de la construction du chemin de fer du Yunnan Fu, soutenue par la Fondation d’Entreprise Michelin et présentée au Fonds régional d’art contemporain d’Auvergne début 2018 (quelques photos de l’exposition sont disponibles ici), Li Kunwu est un ouvrage découpé en deux parties.
Dans la première, on revient sur l’homme qu’est cet auteur chinois bien atypique. Véritable passeur de mémoire et témoin de son temps, l’artiste aborde l’histoire avec la lucidité d’un vieux sage. Né en 55, il a connu mille vies, vécu la Révolution culturelle et servi comme soldat… Alors qu’il aurait pu être auteur de lianhuanhua (BD chinoise) ou peintre shanshui (peintre de paysage, une institution en Chine), ce dessinateur autodidacte a choisi une route singulière. Artiste infatigable, il fut notamment journaliste et caricaturiste pendant près de 30 ans au quotidien Yunnan Ribao et il est aussi l’auteur d’une trentaine d’ouvrages illustrés dans son pays. La casquette d’auteur de bande dessinée hyper productif qu’on lui connait en France n’était en réalité qu’une parmi d’autres.
Ce portrait éclairant de Li Kunwu est dressé à travers deux regards différents. Mais sa voix se fait aussi entendre, au fil d’une interview dans laquelle il présente son parcours, ses dessins, ses toiles et autres fresques qui composent son œuvre. Et, même si les techniques, supports et médiums utilisés varient, son parcours se construit telle une obsession autour de sa province natale qu’est le Yunnan.
Dans un deuxième temps, l’ouvrage revient sur l’exposition et la construction du chemin de fer en lui-même – chemin de fer sur lequel il avait déjà écrit la bande dessinée : La Voie ferrée au-dessus des nuages. En chiffres: 855 km de long ,630 000 traverses, 3 400 ponts, viaducs et aqueducs, ainsi que 180 tunnels, 60 700 employés pour construire l’ensemble en un temps record, seulement 7 ans, entre 1903 et 1910 ! Outre l’ampleur de ces chiffres et les détails qui parsèment cette section historique, ce qui marque est aussi le nombre d’œuvres créées et leurs multiples formats. Entre caricatures, dessins de presse et peintures, de nombreuses grandes fresques au lavis dépeignent le quotidien de la construction de cette voie et de ses contemporains, sous de multiples perspectives. Comme dans ses bandes dessinées, Li Kunwu semble comme croquer sur le vif ces images, avec beaucoup de tendresse. Dès lors, les hommes prennent autant de place et d’importance que la ligne, les machines et les ouvrages architecturaux.
Le point culminant de l’exposition et du livre restera une fascinante fresque de 21 m de long et 70 cm de large représentant différents stades de la ruée dans les gares à l’occasion de la Fête du Printemps (plus grande fête de Chine durant laquelle les Chinois rejoignent leur famille). Parmi les autres œuvres marquantes, on retiendra aussi l’immense tableau représentant le passé de la ville de Kunming (sa ville natale) avec ses 7 mètres sur 1,80 mètre ou un autre rouleau de 18 m de long sur 70 cm de large… Les autres dessins, illustrations et croquis ne sont pas en reste, car, s’ils sont plus petits, ils restent bien plus grands que des cases de BD classique, tout en retranscrivant scrupuleusement cette folle aventure. L’ensemble forme un témoignage et un travail de mémoire aussi fort que remarquable.
Voyage à Cuba pour Louis Vuitton
Véritable carnet de voyage dans lequel l’auteur a décidé de laisser toute la place à l’illustration, Cuba est une succession de dessins muets plongeant littéralement le lecteur dans la vie cubaine. Au demeurant, le choix de Cuba n’est pas anodin pour Li Kunwu. Le passé communiste de ce pays entre forcément en résonance avec la propre histoire de la Chine. Et au final, l’artiste fut surpris et confie avoir eu « l’impression de [se] retrouver dans la Chine des années 1980 ». Entre autres, les portraits des figures emblématiques du régime et les affichages politiques sont d’actualité à Cuba, alors que cela fait des années que la Chine s’en est soustrait. La similarité ne s’arrête pas là car les paysages semblent se confondre avec son Yunnan natal.
Intéressant pour au moins deux raisons, ce très beau carnet de Li Kunwu nous fait voyager à Cuba en couleur. Une première pour l’auteur, et on peut dire qu’il s’en sort à merveille ! Lui qui nous confiait il y a 5 ans rêver réaliser une bande dessinée en couleur nous sert ici un carnet bariolé dans lequel on reconnaît la chaleur de cette célèbre île des Caraïbes.
Il présente aussi des dessins assez différents de ce qu’on a pu voir de lui dans ses bandes dessinées ou ses expositions. Il délaisse parfois le lavis pour le crayon ou le stylo qui lui confèrent une ligne plus claire.
Dessinateur fertile, l’artiste est revenu avec beaucoup plus d’images, de dessins, de photos et de souvenirs qu’il ne l’avait imaginé. Dans ce carnet, c’est le foisonnement : des monuments, de personnes, de véhicules et de vues de nature et de ville en passant par des combats de coqs s’étalent sur les pages. La technique et le trait de l’auteur sont changeants et captivants. Un bel ouvrage pour un artiste libéré.
Après le carnet de voyages en couleur, vers quelle aventure se dirigera maintenant Li Kunwu ? Dans le catalogue de l’exposition sur le chemin de fer du Yunnan, il confie son envie de tenter la peinture à l’huile. Li Kunwu semble donc avoir encore de belles choses à transmettre, que ce soit au travers de bandes dessinées, d’œuvres d’art ou d’expositions. En attendant, il continue à élargir sa notoriété et est d’ailleurs un des invités d’honneur du Lucca Comics & Games 2018, l’un des plus gros festivals de BD au monde, à la fin du mois en Italie.
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Li Kunwu.
Est-Ouest 371, 152 p., 28 €, janvier 2018.
Cuba.
Louis Vuitton, 160 p., 45 €, avril 2018.
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