Trois rééditions de BD indé à ne pas manquer
Zoom sur trois nouvelles éditions de livres d’auteurs importants, de vrais indispensables de bédéthèque, signées Blutch, Daniel Clowes et Olivier Schrauwen.
Le Miroir de Mowgli
Mowgli a grandi mais reste naïf. Parmi les animaux, entre les lianes et les arbres, il aspire à autre chose sans savoir quoi. Alors il part en quête d’ « amis » et se retrouve face à un orang-outan aux attitudes familières. Un double déformé ? Un miroir déformant ? Ou juste Mowgli dans une autre vie ? Mowgli imite, danse, s’étire et tombe souvent pour mieux se relever. S’arracher à son innocence toute naïve mérite bien quelques efforts.
Publié en 2011 chez Ouvroir Humoir, Le Miroir de Mowgli d’Olivier Schrauwen (Arsène Schrauwen) déploie un univers fantasmagorique façon roman d’apprentissage, qui fraye autant avec la danse et le théâtre que la bande dessinée, dans sa version peut-être la plus originelle. Muet de bout en bout, l’album fait se succéder les scènes drôles ou étranges, interrogeant la nature humaine au prisme de l’évolution. Trait raffiné d’une désuète élégance – on lorgne du côté de Winsor McCay et Lyonel Feininger –, goût pour la farce gestuelle et le ballet des corps, Le Miroir de Mowgli, emballé dans une jolie bichromie bleu/orange, fait du lecteur le spectateur amusé d’une chorégraphie sans faux pas où la subjectivité est l’étalon du sens. Original et intrigant. Pour l’occasion, L’Association réédite le livre en version « journal » pour la modique somme de 8 €.
Par Olivier Schrauwen, 48 pages, 8€, septembre 2017.
Mitchum
Dans le parcours de Blutch, artiste virtuose à l’identité graphique mouvante, Mitchum marque une étape décisive. Alors en pleine crise de confiance pendant ses années Fluide Glacial, il crée une série de cinq comics expérimentaux sous l’impulsion de Jean-Louis Gauthey, fondateur de l’éditeur Cornélius. Il s’y interroge par le dessin en multipliant les tentatives graphiques. Délaissant les histoires courtes, il donne libre cours à son coup de pinceau, toujours en recherche. On y perçoit l’élégance et la grâce d’un univers indompté et sauvage où seul compte le vertige de la proposition. Blutch explore, fantasme, invente en totale liberté pour mieux laisser s’exprimer le geste.
Radical dans son désir d’inventer de nouvelles formes, Mitchum balance entre l’improvisation graphique et le rêve dessiné, la joie de créer et le refus des modèles. En toute logique, Cornélius vient donc de rééditer, en version cartonnée avec jaquette, ce livre épuisé depuis trois ans. Les cinq volumes d’origine se suivent dans leur ordre de parution (entre mars 1996 et mai 1999). Un album atypique mais majeur d’un grand de la BD.
Par Blutch. Cornélius, 224 p. 24,50 €, juin 2017.
David Boring
David Boring, 20 ans, agent de sécurité un peu névrosé, s’ennuie dans sa ville mortifère. Il enchaîne les conquêtes et mène une vie sans relief entre lecture des vieux comics de son père et aventures d’un soir. Tout à la fois une manière de tromper l’ennui et d’imiter ceux de son âge (« mes goûts sont ceux de mon temps »). Fade et narcissique, Boring refuse inconsciemment de quitter le monde des ados alors qu’il ne rêve que de ça. Peur du vide ? Désamour des responsabilités ? Qu’importe, il apprend un jour qu’un de ses amis, Whitey, meurt sans explication convaincante. Avant de tomber nez-à-nez avec son idéal féminin. Fin de l’errance amoureuse et début d’une passion ? Sans doute trop beau pour être réel…
David Boring, « récit d’aliénation mélancolique » et image parfaite du désordre sentimental à un âge où tout est à construire, est l’une des BD les plus abouties de Daniel Clowes (Patience, Ghost World…). Publié sous forme d’épisodes dans le comics Eightball à la fin des années 1990, édité dans son intégralité pour la première fois en 2000, ce classique était épuisé en France depuis un an. Cornélius le ressort avec en bonus des illustrations couleurs présentes dans la version originale. Ainsi, ce qui débute comme une « simple comédie romantique se révèle une véritable histoire d’horreur », le récit intimiste muant en cauchemar glaçant. Et pour cause, l’inattendu se produit. Tout s’enchaîne avec une logique implacable. Une balle dans la tête, un exil sur une île perdue, des meurtres et des disparitions, du terrorisme bactériologique… Au-delà de l’histoire parfaitement maîtrisée dans son rythme, son découpage et ses réflexions, la voix-off détachée conjugue observation clinique du quotidien et analyse sans complaisance des individus. Le récit chavire alors dans l’étrange, devient tout à la fois thriller, récit initiatique et chronique du désenchantement amoureux, irradié par une pénombre lumineuse, splendide de mélancolie.
Des aplats aux encrages, tout sublime le graphisme « clowesien » souligné par des niveaux de gris, à mi-chemin entre l’hommage à l’âge d’or des comics et une modernité cartoon très personnelle. Clowes désosse l’humain pour mieux pointer les névroses et souligner l’irréductible fatalité d’une vie lovée dans l’errance… Le rêve amoureux a tourné à la mauvaise blague pour David qui, piégé par une force mystérieuse et condamné à répéter les mêmes erreurs, sombre dans un abîme sans fond. Inépuisable matière, David Boring est un classique de Daniel Clowes. Et même un chef d’oeuvre, un vrai !
Par Daniel Clowes. Cornélius, 128 p., 25,50 €, mai 2017.
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