Turf ouvre un sex-shop à la campagne
A 44 ans et après 17 années passées sur La Nef des fous (lire sur ce sujet notre interview de 2009), Turf revient avec un projet plus modeste, mais non moins plaisant. Dans Magasin sexuel, il raconte l’installation d’un sex-shop ambulant et rose bonbon dans un village plutôt conservateur. Un album drôle, piquant et bon enfant, dans lequel on retrouve tout le goût pour la fantaisie de Turf et sa splendide palette de couleurs. Rencontre avec un auteur attachant, mais qui doute toujours de son talent de dessinateur.
D’où vient l’idée de Magasin sexuel ?
À vrai dire, je ne m’en souviens plus vraiment, car elle est déjà assez ancienne. Et remonte bien avant la mode des sex-toys ! J’y pensais déjà pendant la réalisation de La Nef des fous, mais je ne souhaitais pas interrompre ma série pour ne pas frustrer mes lecteurs. L’intérêt de cette idée avait été conforté par la vision, au Québec, d’une étonnante émission de télé-achat consacrée aux objets sexuels. Dès lors, je n’avais qu’une seule trouille : que quelqu’un exploite le sujet avant moi !
Comment avez-vous développé cette idée ?
Au départ, je n’avais qu’une image en tête : un sex-shop ambulant installé sur la place du marché d’un petit village. L’univers s’est construit petit à petit autour de lui. Certains personnages sont apparus très vite, comme le maire; d’autres ont disparu, comme le curé, qui faisait un peu trop Don Camillo à mon goût. Rapidement, j’ai voulu parler de la confrontation entre la modernité et une population ancrée dans le passé. Raconter une fable sur la bêtise et la méchanceté.
Avez-vous enquêté sur l’univers des sex-shops ?
J’en ai visité quelques uns à Angoulême. Ils ressemblaient à l’idée que je m’en faisais : des locaux plutôt glauques, aux murs bruts, à la décoration vieillote, où des sex-toys très récents se mêlent à d’anciennes cassettes vidéos… J’ai pris le contre-pied de cela en créant mon sex-shop ambulant à la manière d’un magasin de bonbons. Peut-être que ça donnera des idées à certains !
Jusqu’où vouliez-vous pousser le côté coquin de votre histoire ?
Je voulais à tout prix éviter la vulgarité. Je n’ai pas un dessin assez fort pour montrer des trucs vulgaires avec élégance, comme Manara par exemple. Je préfère donc travailler dans le registre de l’humour : quand je montre une fille nue, c’est pour un gag, pas pour exciter le lecteur.
Est-il difficile de passer du monde fantaisiste de La Nef des fous à un univers contemporain ?
Ce n’est pas évident… L’une des choses les plus difficiles a été de dessiner le monde d’aujourd’hui, car je n’aime pas son esthétique. Représenter un écran plat est vraiment horrible ! Je serais plus à l’aise dans un décor des années 1970. Dans La Nef, je pouvais me permettre d’inventer plein de choses, ici, je dois avoir des références contemporaines. J’ai donc dû me mettre à figurer des voitures : j’ai appris à dessiner les Twingos et… je me suis arrêté là ! Résultat, dans mon album, il n’y a que des Twingos, plus ou moins customisées.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas confier ce scénario à un autre dessinateur ?
Il comporte trop d’éléments personnels et affectifs et, je pense, trop de choses folles. La scène du marché n’a l’air de rien comme ça, mais elle fut très longue à réaliser J’y ai passé jusqu’à quatre jours par page, rien que pour la couleur ! Je ne peux pas demander à un autre dessinateur de faire ça. Et puis c’est en imaginant les images que je trouve des idées de scénario, comme la récurrence des Twingos par exemple.
Pourquoi le personnage du maire ressemble-t-il autant au maire de Champignac, inventé par Franquin ?
C’est un hommage, bien sûr. Mais aussi un souvenir. Car quand j’étais petit, un maire ne pouvait selon moi ressembler qu’à ça: le maire de Champignac des BD était ma seule référence en la matière, je n’en avais jamais vu d’autres !
Comment sort-on d’une aventure de 17 années à bord de La Nef des fous ?
Pendant quatre mois, après la fin de La Nef, j’ai tenté un nouveau style de dessin. Mais je ne suis pas encore parvenu à un résultat satisfaisant. J’ai donc continué dans la voie qui m’est familière. J’ai beaucoup cherché autour de mes personnages, et si je suis assez content de mon héroïne – qui est censée symboliser la beauté, pari compliqué! -, je suis plutôt déçu par mon barman… Je sais que mes lecteurs acceptent mes codes graphiques et mes erreurs. Mais moi, j’ai toujours du mal à les avaler et il y a encore des choses que je n’aime pas dans Magasin sexuel.
Quels sont vos projets ?
Je suis actuellement en train d’écrire le second tome de Magasin sexuel, qui conclura l’histoire. Les idées viennent petit à petit, c’est difficile de prévoir combien de temps il me faudra pour les agencer. Mais je vais essayer d’aller vite, car je ne peux plus me permettre de consacrer 20 années de ma vie à une série. Le marché a changé et le fonds ne se vend plus… Après cet album, on verra. J’ai vaguement en tête une idée graphique, un phare rouge et blanc qui flotte dans l’espace, mais je n’en sais pas plus…
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Magasin sexuel.
Par Turf.
Delcourt, 14,95 €, le 2 mars 2011.
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Images © Turf / Guy Delcourt productions 2011 – Photo © Olivier Roller
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