Un Ch’ti coup de pouce
Le succès de Bienvenue chez les Ch’tis ne pouvait laisser les éditeurs de BD indifférents. Résultat, ils prévoient de publier pas moins de six albums sur les Nordistes. À lui seul, Jean-Luc Loyer en signe deux, complètement différents. Une enfance Ch’ti (réédition des Mangeurs de cailloux et de La Boîte à un franc) raconte son enfance de fils de mineur, tandis que Les Blagues ch’tis ironisent sur le maroille et la fricadelle. Rencontre avec un vrai gars du Nord.
Pourquoi rééditer Les Mangeurs de cailloux et La Boîte à un franc ?
Il s’agit d’une intégrale, dont la sortie a été accélérée par le succès du film de Dany Boon. Guy Delcourt a souhaité republier ces deux livres parlant de mon enfance dans le Nord. S’il m’a proposé de changer le titre, ce n’était pas pour dissimuler une réédition, mais pour profiter de l’engouement autour des Ch’tis. Les deux premiers tomes se sont vendus à 5000 exemplaires seulement, je ne pouvais donc pas refuser. Et puis savoir vendre des livres est un tout autre métier que les réaliser… J’ai tenu à agrémenter la nouvelle édition d’éléments inédits. Il y a donc 16 pages de plus avec un extrait de mon roman Les Mangeurs de cailloux, huit planches constituant la suite de l’histoire et surtout des photos de mon père, mineur, qui montrent que ce récit est véridique.
En plus de cette autobiographie dure et tendre à la fois, vous publiez Les Blagues Ch’tis…
Soyons honnêtes : c’est une commande. Guy Delcourt a pensé à moi car il connaît mes origines. Lui aussi vient du Nord, d’ailleurs à chaque festival nous chantons ensemble une chanson de notre région. Alors bien sûr, ce recueil de blagues contient quelques clichés sur le coin, mais pas seulement. Les gags tournent autour de la vie d’une famille, façon Simpsons, et j’ai souhaité que l’un de ses membres soit chômeur, puisque le taux de chômage dans la région s’élève à 25%.
Une enfance Ch’ti, qui raconte l’existence difficile des mineurs, est à contre-courant du film Bienvenue chez les Ch’tis, qui brosse un portrait plutôt accueillant du Nord…
Le film propose effectivement une charmante image d’Épinal du Nord, et le public a visiblement besoin de voir ça. Toutefois, parler de violence sociale – comme je le fais dans Une enfance Ch’ti – n’exclut pas la tendresse : je montre le monde ouvrier vu à travers le regard d’un gamin heureux, protégé par ses parents.
À l’origine, était-ce l’histoire de votre père que vous souhaitiez raconter ?
Au départ, cette histoire n’était pas destinée à la publication. C’était un cadeau pour ma mère. Je voulais lui signifier que mon enfance fut heureuse malgré les difficultés. À cette époque, en 1997, je n’arrivais pas à vendre mes scénarios. Alors j’avais choisi de proposer aux éditeurs ces planches réalisées pour ma famille. Elles ont retenu l’attention de plusieurs éditeurs, sans doute parce qu’elles sont sincères et authentiques.
L’histoire des mineurs et du Nord est-elle emblématique de nos sociétés modernes ?
Oui, elle exprime une réalité sociale et politique. À mon avis, notre société a choisi d’abandonner une part de la population. Le monde a adopté l’idée qu’il y avait les riches d’un côté et les pauvres de l’autre. Quand des mines ferment et que l’on demande aux ouvriers de changer de métier, on oublie que ce travail est devenu leur patrimoine, qu’ils l’ont dans le sang. Pour eux, l’expression « gagner sa vie » est lourde de sens. Petit, j’étais effrayé par la violence de leur profession… Ce qu’ils ont vécu s’est reproduit à la fermeture de l’usine de métaux Métaleurope – le sujet de mon album Noir Métal (chez Delcourt, avec le scénariste Xavier Bétaucourt). Aujourd’hui, je travaille sur une bande dessinée consacrée à la métallurgie et aux méfaits de la délocalisation.
Propos recueillis par Allison REBER
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Une enfance Ch’ti. Delcourt, 16,50 €, le 08 octobre 2008.
Les blagues Ch’tis #1. Delcourt, 9,95 €, le 08 octobre 2008.
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© Images Delcourt
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