Une aventure de Tif et Tondu – Mais où est Kiki ?
Tif et Tondu ont fait tomber un antiquaire véreux, receleur de dizaines de tableaux de maîtres volés. Ils racontent cette histoire dans leur dernier roman, qui attire les foules lors d’une séance de dédicaces. C’est alors que se présentent, d’une part, un étrange personnage leur laissant un message suggérant que leur amie Kiki a disparu, et d’autre part, la fille de l’antiquaire prétendant que son père a été manipulé. Deux mystères pour le prix d’un : les deux écrivains détectives se lancent dans une nouvelle enquête, qui s’annonce périlleuse.
Fan et fin connaisseur des grandes heures du franco-belge, Blutch a saisi l’occasion de rendre hommage à Tif et Tondu le temps d’une aventure à part, qu’il a concoctée avec son frère, Robber. Ils sont partis de l’idée de faire du duo, lancé par Fernand Dineur en 1938, des détectives écrivains (ou l’inverse), un peu à la manière du Dr Watson de Sherlock Holmes, s’appuyant sur ses enquêtes pour écrire ses ouvrages. Excellente idée, jouant à fond sur la mise en abyme et le pouvoir de l’imagination – les deux frangins sont même allés jusqu’à publier chez Dupuis le roman de Tif et Tondu, intitulé L’Antiquaire sauvage ! Dans un décor années 80 très cinégénique, le barbu sérieux et le chauve rigolard tomberont, lors de leurs investigations, sur des mafieux armés jusqu’aux dents, un clochard malin, une cape d’invisibilité, des policiers de tout calibre intellectuel, une éditrice pressée, des chiens hargneux, un libraire pénible, un avocat louche et une naine qui sait tout. Tous les ingrédients saugrenus pour un polar étonnant et palpitant, parfois bizarre et souvent drôle. Car se détachant de la ligne claire de Will, tout en la respectant totalement, Blutch profite de cette galerie de personnages hauts en couleurs (ah! le patron de club au faciès de Pierre Bellemare!) pour sortir de ses propres obsessions graphiques et revenir à quelque chose de plus léger, avec de belles séquences d’action et d’humour, tout en insufflant cette dose de malaise – dans le traits élastiques, les postures tendues et les yeux globuleux – qui le caractérise depuis longtemps. L’album est donc un régal tant narratif que visuel, tant il trimballe le lecteur dans des zones inconfortables (on se croirait par moments dans un mélange de Lynch et Fellini), sans toutefois le laisser dans le brouillard trop longtemps. La réponse à Mais où est Kiki? sera immanquablement : dans toute bonne bibliothèque.
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Excellente critique, Mr Roure!
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