Une Femme de Shôwa
Honoré cette année à Angoulême – exposition dédiée et Prix du Patrimoine pour le Club des divorcés –, Kazuo Kamimura est l’un des monstres sacrés du gekiga. Puisant à nouveau dans l’œuvre foisonnante de l’artiste, Kana nous propose Une Femme de Shôwa (1977-78), scénarisé par Ikki Kajiwara (Ashita no Joe) et ayant pour particularité d’être resté inachevé suite à l’arrêt de la revue Apache, terrain d’accueil de cette histoire.
“Shôwa” désigne l’ère éponyme (1926-1989), période de règne de l’empereur Hirohito. Ici, c’est le lendemain de la capitulation nippone qui nous est conté, dans un contexte de reconstruction du pays sous l’occupation américaine. Cette femme de Shôwa en devenir, donc, est la jeune Shôko, petite délinquante livrée à elle-même suite à la mort tragique de sa mère. Comme a pu le faire le cinéaste Seijun Suzuki avant eux (pensons à La Barrière de chair, sur les prostituées de l’après-guerre), Kamimura et Kajiwara dressent le portrait d’un empire appauvri, désordonné, où la vie ne fait aucun cadeau aux orphelins et encore moins lorsqu’on est une femme. Le sang jaillit – des plaies béantes, des orifices mutilés. À ce contexte réaliste et ténébreux s’ajoute une composante chevaleresque, comme si l’âme de Yûki, la célèbre Lady Snowblood de Kamimura, s’était réincarnée dans cette Shôko à la force de caractère incroyable. Loin de se laisser abattre, même nue, même humiliée, elle ne perd jamais de vue son objectif : se venger de ceux qui ont écorché les siens. Au contact de plusieurs milieux successifs (principalement un centre de rééducation pour jeunes filles), elle saigne, s’élève, tombe amoureuse. Un personnage hypnotisant, aux yeux perçants dont Kamimura a le secret, malgré un dessinateur qu’on sent en pilotage automatique, pas particulièrement inspiré quand on sait ce dont il est capable.
Oui, ce récit ne manque pas de charme. Malheureusement, son incomplétude l’empêche de prendre une véritable ampleur et c’est sur la triste impression d’avoir assisté à un prélude que se referme le livre. Au lecteur, peut-être, d’imaginer la suite.
© 1977 by KAZUO KAMIMURA, IKKI KAJIWARA
Publiez un commentaire