Une tête bien vide
Quelque part aux États-Unis, Bobby vit seul avec son père, immigré mexicain travaillant dans une usine, et sa mère, en proie à une dépression fatale. Introverti, objet de quolibets et de moqueries, Bobby mène la vie sans horizon d’une bonne partie des ados en quête d’eux-mêmes. Entre filles, amours secrets et expérimentations musicales, il traverse l’existence étranger à son sort et spectateur de lui-même…
Après La Saison des Billes et Julio, Gilbert Hernandez revient avec une chronique sociale sur l’errance plus que l’adolescence, ancrée dans l’Amérique des années 60/70, autour de la vague punk. L’auteur décrit une vie entière passée à errer, du lycée à la vie active. Bobby passe par tous les états : timide puis à l’aise avec les filles, il se cherche, tâtonne et se laisse porter par les événements sans jamais faire de choix clairs. Détaché du réel et parfois inconsolable, il subit une vie flottante, surfant sur la mode du moment. Qui est-il ? Où va-t-il ? Il ne le sait guère et ne le saura jamais… La première partie de la BD sème le doute. En abordant une foule de thèmes sans les creuser – racisme, aliénation au travail, pauvreté, mort, alcoolisme –, Hernandez semble se perdre dans un propos vaguement critique ou sociologique. Mais au fil de la lecture, on comprend ces moments comme des passages obligés, dont Bobby ne fera pas grand-chose. Hernandez tente de cerner une énigme, décrit par bribes des scènes de jeunesse ordinaires, montre des moments perdus scandés par des événements tragiques (mort de sa mère). Bobby grossit, s’enfonce dans sa léthargie, se passionne brièvement pour le punk ou le glam. Mais, au fond, a-t-il vraiment la rage ?
Avec un art consommé de l’ellipse, Hernandez donne sens aux non-dits et suggère l’ennui ou la fascination, à l’appui d’un trait épuré et très lisible. À vouloir raconter toute une vie, le livre souffre certes d’un effet zapping mais l’essentiel est là : ce destin un brin raté parvient à toucher contre toute attente. Pas le chef-d’œuvre d’Hernandez, Une tête bien vide n’en reste pas moins digne d’intérêt.
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