Unlucky Young Men #1
1968. Les émeutes font rage : Tokyo vibre, brûle, crie. Dans un bar jazz où la jeunesse révolutionnaire tient ses quartiers, l’assassin instable Norio Nagayama (N) fait la connaissance de Takeshi Kitano (T), humoriste raté qui rêve de devenir cinéaste. Ensemble, ils vont donner forme au scénario de ce dernier, où quelques jeunes laissés sur le carreau planifient l’attaque d’un fourgon transportant 300 millions de yens afin de réaliser leurs rêves. Un projet qui, au-delà de la pellicule, va devenir réalité…
Dessiné par Kamui Fujiwara (Dragon Quest), Unlucky Young Men s’éloigne totalement de ce que l’on connaissait de l’auteur. Ici, les croquis préliminaires ont été reproduits en séquences filmées, avant de dessiner les véritables planches sur base de photographies du métrage. Le but étant de se rapprocher au maximum du 7e art, et plus particulièrement de l’esthétique de l’Art Theatre Guild, fleuron du cinéma indépendant japonais des années 1960. Au départ, ces plans de caméra semblent à l’étroit, miniaturisés dans de petits rectangles qui leur font perdre en force picturale. L’ensemble parait même sage, par rapport aux vraies productions de l’ATG, et l’on se prend à rêver du film qu’aurait pu être Unlucky Young Men. Mais un Fujiwara de plus en plus confortable dans ce style nous convainc rapidement : que ce soit dans les cadrages chirurgicaux ou la justesse humaine des personnages, chaque page délivre un souci du détail qui laisse pantois. On pense à Otomo, à Urasawa, aux grands maitres de la mise en scène.
Évidemment, cette fiction (très) inspirée par la réalité atteindra en plein cœur les passionnés de culture japonaise. Voir un Kitano aussi pitre que touchant évoluer dans les mêmes eaux que Yukio Mishima ou référencer la théorie du paysage de Masao Adachi, tandis que les poèmes de Takuboku Ishikawa constellent les planches, cela n’a pas de prix. Au-delà de ce fantasme, le récit d’Eiji Otsuka est captivant, dense, exigeant, et l’on est impatient de lire la suite et fin de ce lourd pavé entre chronique sociale immersive et réalité alternative bien goupillée. Car le plus bel éclat de ce diamant lustré, finalement, est d’avoir à la fois la couleur d’un bon polar, d’un livre d’Histoire et d’une péloche subversive des sixties. Un classique instantané !
UNLUCKY YOUNGMEN © Kamui FUJIWARA 2007 / © OTSUKA Eiji Jimusyo 2007 / Kadokawa Corporation, Tokyo.
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