Vincent Bernière n’oublie pas le Château des ruisseaux
Dans Le Château des ruisseaux, il raconte un épisode de son passé : une cure de désintoxication de huit semaines. Journaliste et responsable des labels Outsider et Erotix chez Delcourt, et donc aujourd’hui également scénariste, Vincent Bernière revient sur un album intime et puissant, dessiné par Frédéric Poincelet.
Comment avez-vous appris l’existence du Château des ruisseaux ?
Mon oncle m’en avait parlé, ainsi qu’une amie proche. Cette dernière avait une soeur toxicomane, qui connaissait les fondateurs du lieu. C’était en 1994, le centre venait de se monter à l’initiative de Kate Barry [la fille du compositeur John Barry et de Jane Birkin]. Elle-même sortait d’un endroit similaire en Grande-Bretagne. Le modèle adopté est assez connu aux Etats-Unis, en Angleterre, au Portugal ou encore en Suisse, où le journaliste Hervé Chabalier [fondateur de l’agence CAPA et auteur du Dernier pour la route, un livre autobiographique qui aborde sa cure contre l’alcoolisme] a été traité.
En quoi consiste ce modèle ?
Il est basé sur celui des Alcooliques Anonymes et des Narcotiques Anonymes [un programme de rétablissement en douze étapes, basé sur la parole et l’abstinence totale].
Pourquoi avoir voulu raconter ce parcours très personnel ?
Je me suis dit que cela pouvait intéresser beaucoup de monde. Mon propos est finalement universel, il évoque l’entraide, la solidarité, le langage des émotions. J’ai commencé à rédiger le scénario il y a deux ou trois ans. On y trouvait le matériau idéal pour une bande dessinée : un huis clos, des personnages forts, des situations riches, un lieu intéressant et méconnu. Narrativement, le sujet est fort. D’ailleurs, de nombreuses personnes l’ont exploité : Hervé Chabalier dans Le Dernier pour la route, James Frey dans Mille morceaux, Christophe Tison dans Résurrection, Amy Winehouse dans la chanson Rehab…
Quelle part de réalité avez-vous utilisée pour tisser votre fil narratif ?
Dans cet album, quasiment tout est vrai, même si j’ai utilisé beaucoup de raccourcis et que j’ai synthétisé les choses. Quand je me suis rendu au Château des ruisseaux, j’ai – comme mon personnage principal, Jean – croisé une fille dans le train. J’ai tout de suite vu qu’elle se droguait, à sa façon d’aller aux toilettes… Par contre, je n’ai pas eu d’histoire sentimentale – quelques obsessions seulement. C’est interdit par le règlement, mais cela donnait un peu de chair, d’intérêt supplémentaire à l’histoire.
Avez-vous trouvé difficile de raconter un parcours aussi intime ?
Non, aucunement. Il se peut que j’aie été un peu dur ou trash, ou pas assez pudique, je ne me rends pas compte. Mais se raconter ainsi, c’est ce qu’on fait là-bas. Il faut se livrer pour libérer sa parole, et j’ai pris l’habitude de le faire. Au Château, on travaille essentiellement la première étape du programme : casser le déni par rapport aux conséquences de sa propre consommation de produit sur soi-même et les autres.
Quelles sensations ce retour dans le passé a-t-il provoquées ?
Fouiller ses souvenirs, c’est forcément émouvant, cela permet de mesurer le chemin parcouru. Je n’ai toutefois jamais vraiment oublié : je retourne régulièrement au Château, dans le rôle de parrain – j’ai là-bas sept filleuls. En écrivant le scénario, je ne me suis pas senti ému. Mais quand Frédéric Poincelet m’a envoyé les pages dessinées, j’ai pleuré en relisant un passage, celui où le héros écrit une lettre [adressée à son addiction, et qui déroule la chronologie de sa toxicomanie].
Comment cette collaboration avec Frédéric Poincelet s’est-elle décidée ?
Frédéric m’avait proposé il y a quelques années d’adapter mon roman sur la toxicomanie [Moi, Vincent B., publié aux Impressions Nouvelles]. J’avais refusé, car je préférais écrire un scénario original. J’aime son rapport au théâtre, la façon qu’il a de faire jouer les personnages, en préservant une unité de lieu et d’action. Pour Le Château des ruisseaux, c’était le dessinateur idéal !
Comment s’y est-il pris pour effectuer des repérages ?
On n’a pas le droit de filmer ni de photographier le Château. Nous avons donc tous deux participé à un groupe de thérapie. Pour autant, Frédéric n’a pas représenté ceux qui en faisaient partie : le seul “vrai” personnage est celui de Suzy, une thérapeute. Pour le reste, Frédéric a fait poser des gens – dont moi-même, dans un rôle de docteur – et les a intégrés dans le décor. Il a mis trois ans à tout dessiner, en utilisant uniquement des dialogues. Dans son travail, le regard du lecteur se perd souvent dans de petits détails des pièces représentées : comme les toxicos présents, on compte les lattes du parquet, on imagine des opérations mathématiques avec les carreaux des fenêtres… Frédéric a l’habitude de l’introspection, de l’intimité.
Lui avez-vous demandé de modifier certains passages ?
J’ai fait très peu de remarques, j’ai principalement argumenté pour garder deux scènes muettes, qu’il trouvait étranges. Notre éditeur José-Louis Bocquet a suggéré de montrer une crise de manque, passage obligé du sevrage. Je trouvais ça spectaculaire, mais pas franchement intéressant.
Quelles réactions cet album a-t-il provoquées ?
Je n’ai jamais eu autant de presse ! Les gens semblent touchés, ont appris des choses, même s’ils se sont sentis désorientés au début par cette BD peu classique. Désormais, j’aimerais que quelqu’un vienne me voir et me dise que ma bande dessinée lui a donné envie d’aller au Château.
Quels sont vos projets ?
Avec le dessinateur Erwann Terrier, nous travaillons à la suite d’Une stupéfiante aventure de Viny K. Je me suis aussi attelé à une série policière, sur le milieu du football. Et j’écris des livres : sur la vie et la mort du clochard Daniel Vermeille, sur la révolution sexuelle ou la presse punk.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Le Château des ruisseaux
Par Vincent Bernière et Frédéric Poincelet.
Dupuis, 14,95€, le 6 janvier 2012.
Images © Dupuis. Photo © Renaud Monfourny
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