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Vincent Sorel, l'homme qui a vu "L'Ours"

17 mai 2010 |

sorel_introCe sont d’abord ses crayons de couleur – dont il use régulièrement dans le feuilleton numérique Les Autres Gens – qui nous ont tapé dans l’œil. On a ensuite dévoré le premier album de Vincent Sorel, L’Ours. Soit l’ahurissante histoire d’un plantigrade qui tue un bûcheron, se déguise en homme, et interagit comme si de rien n’était – ou presque – avec tout un village. A 24 ans seulement, cet auteur originaire de Caen réussit une bande dessinée épatante, au postulat de départ gonflé. Il raconte son parcours, ainsi que son goût pour les animaux et les crayons de couleur.

sorel_ours_1Pourquoi choisir pour héros un ours ?
J’éprouve un intérêt naturel pour les animaux. J’ai déjà réfléchi à leur rôle social, leur représentation, et notamment à l’anthropomorphisme à la Disney, qui les rend semblables aux humains. Je n’aime pas cette façon de faire qui me semble trop facile, mille fois vue, et nie leur animalité. Alors j’ai trouvé amusant d’en prendre le contre-pied : et si une bête prenait une apparence humaine, mais continuait à se conduire de façon animale ? Cela pouvait donner lieu à des scènes absurdes et cocasses. L’idée de l’ours est venue ensuite, en entendant à la radio l’historien médiéviste Michel Pastoureau. Il a consacré au plantigrade un ouvrage passionnant, L’Ours : histoire d’un roi déchu (Seuil). On y apprend par exemple que l’ours était considéré au Moyen-Âge comme le roi des animaux. Sa connotation sexuelle était forte – il est le seul animal à copuler face à sa partenaire, comme l’homme. Des rites païens, comme la fête de sortie de l’hibernation, lui étaient consacrés. Pour contrer ces habitudes, l’église catholique l’a destitué : elle a installé sur son trône le lion africain, plus lointain et quasi légendaire à l’époque, donc moins influent.

sorel_ours_2Pourquoi installer votre ours déguisé dans un village médiéval ?
Il sert à la fois de déclencheur et de caisse de résonance des frustrations des habitants. Il joue le rôle de passerelle entre les gens, et de bouc émissaire lorsque sa sexualité débridée le démasque. Mon histoire est d’abord une fable irréaliste, sans morale. Au fil de sa réalisation, elle est devenue une satire sociale.

Pourquoi l’avoir dessinée en noir et blanc ?
Cela s’est imposé, pour éviter une approche graphique inadéquate, trop « disneyenne ». Les essais en couleurs que j’avais fait ne m’avaient pas convaincu, ça ne collait pas.

Comment L’Ours s’est-il retrouvé au catalogue d’Actes Sud BD/L’An 2 ?
Pendant mes études aux Arts Déco de Strasbourg, j’ai participé aux publications du collectif Troglodyte, et fait mes premières armes en travaillant pour le webzine Numo. J’avais alors été contacté par Thierry Groensteen, fondateur des éditions de L’An 2. Quelque temps plus tard, je lui ai envoyé un synopsis et quelques planches de L’Ours, grâce auxquels j’avais obtenu mon diplôme. Et il a retenu mon projet, tout simplement.

sorel_ours_3La réalisation de ce premier album a-t-elle été compliquée ?
Elle n’a pas été cauchemardesque, mais disons qu’il y a eu des moments difficiles. Notamment à la fin : je n’étais pas en avance ! C’était la première fois que je menais une histoire sur une telle longueur, et je n’étais pas toujours bien organisé. J’avançais sur plusieurs fronts – le scénario et le dessin – à la fois, et le résultat n’était pas toujours harmonieux. J’y ai passé en tout un an et demi.

Avez-vous toujours voulu faire de la bande dessinée ?
Oui, d’aussi loin que je m’en souvienne. J’ai un peu hésité entre les dinosaures et la bande dessinée vers mes huit ans, à l’époque de la sortie du film Jurassic Park… Gamin, j’ai appris sur le tas, en recopiant au critérium les Spirou de Tome et Janry. Après un bac arts appliqués à Caen et un BTS graphisme à Rouen, j’ai passé une licence en arts plastiques à Rennes, et suis entré aux Arts Déco de Strasbourg.

sorel_gens_1Comment avez-vous pris part à l’aventure numérique des Autres Gens ?
J’ai rencontré l’initiateur du projet et scénariste Thomas Cadène via le forum Café Salé. Il m’avait parlé de son désir de faire un soap en BD, et l’idée me motivait. J’aimais sa quotidienneté, et la nouveauté que représentait son format numérique. J’étais aussi curieux de dessiner le récit de quelqu’un d’autre, qui pouvait m’emmener vers des choses différentes – comme des scènes de foule ou des vues de New York, que j’ai représentées pour la première fois dans le feuilleton.

Comment travaillez-vous dans ce cadre précis ?
Je réalise des épisodes assez régulièrement, deux ou trois fois par mois. Cette fréquence permet de s’attacher aux personnages. J’ai eu la chance de réaliser le deuxième épisode, et donc de m’approprier les héros tôt dans l’histoire. C’est sans doute moins facile pour les auteurs qui arrivent après vingt-cinq autres… Pour chaque personnage, chacun utilise une fiche comportant un résumé de sa vie et un dessin type. Il s’agit aussi de suivre sérieusement l’intrigue, pour ne pas être perdu quand le scénario de Thomas Cadène – adapté à chaque dessinateur – tombe ! J’ai une affection particulière pour le père gauchiste et la mère rebelle de Mathilde, l’héroïne vingtenaire. Étrangement, c’est elle que je « sens » le moins : quand je la trouve à peu près réussie, elle semble avoir 15 ans !

sorel_gens_3Pourquoi avoir choisi les crayons de couleur pour réaliser vos épisodes ?
C’est une technique que j’ai déjà utilisée par le passé, et pour laquelle j’ai une certaine facilité. Certains trouvent le résultat enfantin, mais je n’y injecte pourtant aucune part d’enfance, en tout cas pas intentionnellement. Elle a le mérite de me rendre immédiatement identifiable…

Quels sont vos projets ?
Je prépare une parodie d’aventure de super-héros, toujours pour Actes Sud/L’An 2. Dans Les Trois Formidables, on suivra trois personnages qui partent en voyage, et auxquels il arrive des choses incroyables. Au gré d’histoire courtes, ils sauveront le monde… ou pas. Je n’en suis qu’à l’écriture, mais l’ouvrage devrait s’étaler sur une cinquantaine de pages, et sera en couleurs. Je ne suis pas un réel amateur de super-héros mais, enfant, j’ai adoré la série animée Batman et, plus grand, j’ai beaucoup aimé les Spider-Man de Sam Raimi ou Les Indestructibles des studios Pixar. J’ai aussi envie d’un autre récit plus réaliste, cette fois aux crayons de couleur. Mais il faudrait que je trouve une astuce graphique pour les utiliser sans renvoyer systématiquement à l’enfance…

Propos recueillis par Laurence Le Saux


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L’Ours.
Par Vincent Sorel.
Actes Sud/L’An 2, 17€, janvier 2010.
Achetez L’Ours sur Amazon.fr

Les Autres Gens
Feuilleton numérique scénarisé par Thomas Cadène, dessiné notamment par Vincent Sorel, Bastien Vivès, Erwann Surcouf…

Images © Vincent Sorel – Actes Sud/L’An 2 – Les Autres Gens.

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