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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | November 2, 2024















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Violaine Leroy, l’art du basculement

25 mai 2016 |

Dérangés est un projet hors normes. Structure, ampleur, sujet, tout y estindex inédit et fascinant. Ce voyage réussi dans la folie de trois personnages évoque mille sujets essentiels (la solitude, la perte de lien, la marginalité, l’art)… mais se feuillette aussi comme un beau livre. Violaine Leroy évoque pour BoDoï la longue maturation de son album.

Qui sont les trois protagonistes autour desquels vous tissez une histoire ?

Il y a un gardien de musée obsédé par le rangement, qui passe ses nuits de garde à broder : dans son appartement, des objets bougent mystérieusement en son absence — ce qui l’angoisse beaucoup car il trouve un équilibre dans l’ordre. Il y a aussi une insomniaque qui confond ses rêves avec la réalité et vit la nuit. Sa particularité passe au début pour une petite originalité, mais devient insupportable. Et enfin, un maçon à la retraite qui découvre, par une œuvre d’art (que le lecteur ne voit jamais), une nouvelle manière de voir les choses. DERANGES_22Il décide de créer lui aussi, et cela devient une passion dévorante… Mes héros ont donc tous un rapport avec la folie. Mais ce livre n’est pas un documentaire sur ce sujet, plutôt un chemin onirique pour en parler.

Comme dans votre album La Rue des autres ? Vous évoquez le thème de la solitude urbaine…

Pourquoi des sujets nous viennent ? C’est presque psychanalytique… J’aime le thème du basculement : dans le fantastique, hors de la normalité ou dans les émotions — quand quelqu’un passe du rire à la colère par exemple. Dérangés s’ouvre d’ailleurs avec une citation de Yoko Ogawa, une auteur qui, dans ses nouvelles, décrit des choses assez réalistes qui virent au fantastique. Je suis aussi très touchée par les fragilités humaines, ces petites dérives incohérentes qui rendent les gens attachants.

Comment avez-vous construit la narration?

C’était long ! Je voulais que le lecteur ait une relation physique à la folie, aussi aux ambiances et même au dessin. Mais mon scénario, choral, était complexe. J’avais donc besoin d’une structure très carrée. Mon projet est monté comme une tragédie grecque, avec quelque chose d’emphatique, peu réaliste. La ville, toujours vide, est un décor de théâtre, et le récit est organisé en trois actes avec les interventions d’un « chœur » dans les interludes.

Drangs case

Ce choeur est remplacé par un ballet contemporain.

Oui, je voulais un rapport au corps. Au départ, j’ai travaillé seule sur la représentation du ballet, mais c’était trop caricatural. J’ai donc demandé à mon ami Damien Briançon, danseur, d’intervenir. Il a lu l’album et nous avons dialogué à propos de ces interludes gestuels. J’ai pris beaucoup de photos, fait des croquis, et je disposais de tout un catalogue de postures qui lui avaient été évoquées par les personnages et les situations.

Quelle a été votre approche graphique ?

Mon inspiration principale a été la photographie, celle de Josef Koudelka par exemple. Je voulais retrouver ce grain, d’où mon travail sur les encres, les estompes. Par ailleurs, le fait qu’un des décors soit un musée m’a permis de construire une sorte de galerie d’art idéale.

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Que vous a apporté ce long projet solitaire ?

Je suis vite partie sur 300 pages et à chaque fois que je revenais sur l’album, j’étais très contente, comme dans un état second, c’est ce qui m’a permis de tenir 6 ans. Un projet aussi long est une expérience en soi et je me sens moins bloquée par mon dessin après ce gros travail. J’ai aussi d’autres activités, d’illustration notamment, ce qui me donne un rapport plus distancié à la BD.

Qu’envisagez-vous pour la suite ?

Je partage mon temps entre l’illustration, la bande dessinée et suis également à l’origine du collectif les Rhubarbus (avec Anne Laval), qui est basé à Strasbourg. Le but est d’échanger autour d’expériences créatrices, comme le thème des pays imaginaires récemment. Nous faisons de la sérigraphie ; des musiciens, des céramistes, des plasticiens interviennent. Cela permet de croiser les pratiques, d’où mon idée de demander de l’aide à un danseur pour Dérangés. J’ai toujours envie de faire plein de choses, mais pas d’idée d’album pour le moment. C’est aussi difficile de passer du temps sur un livre quand on est dans la bande dessinée indépendante. Il y a une réalité financière. Pour ce livre, j’ai eu le soutien du Centre national du livre, une bourse du Fonds régional de soutien de l’économie du livre. Sans tout cela, je n’aurais pas pu finir.

Couv DérangésPropos recueillis par Mélanie Monroy

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Dérangés
Par Violaine Leroy.
La Pastèque, 29€, le 20 novembre 2015.
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