Walt & Skeezix, chef d’oeuvre bouleversant et impérissable
Et si Walt & Skeezix, signé Frank King (Gasoline Alley pour la V.O.) était tout simplement la BD la plus bouleversante jamais réalisée ? Heureuse initiative des éditions 2024 qui publient enfin ce classique du strip américain ou plutôt un recueil « des plus belles pages du dimanche » de 1921 à 1936. Tout le monde en parlait, le grand Chris Ware lui-même ne cessait d’en souligner la portée fondatrice pour son oeuvre, et l’on désespérait de voir ces histoires à nouveau traduites dans un écrin à leur mesure. C’est donc chose faite et l’on s’en réjouit.
Pensée d’abord « comme un petit théâtre de la modernité » (préface de Stéphane Beaujean), la BD, à travers des tranches de vie bercées de mélancolie, met en scène un célibataire, Walt Wallet, qui découvre sur le pas de sa porte un bébé abandonné. À l’époque, c’est l’idée de l’éditeur pour attirer un lectorat féminin dans une histoire qui fit d’abord la part belle à une bande de potes attirée par la modernité et la rutilance des belles voitures. Un peu maladroit un peu bêta, célibataire endurci, Walt va pourtant devoir s’occuper de Skeezix, « ce veau sans mère ». On suit alors l’histoire touchante de deux êtres innocents réunis par un accident de la vie, avec son lot d’angoisses et d’émotions.
Rien de grandiloquent dans Walt & Skeezix, c’est toute sa force, mais un quotidien peint dans la lenteur et la naïveté de paysages au goût de paradis. Une histoire à trois en réalité. Le père, Walt, qui apprend à être père au contact d’un bébé qui grandit, de l’école au lycée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le troisième personnage, c’est un lecteur qui lit « en temps réel » ces tranches de vie et vieillit à leur rythme. La BD embrasse la totalité du destin de ses personnages, des personnages qui vieillissent comme dans la vraie vie. Idée simple mais grandiose, d’une efficacité redoutable et novatrice.
Il faut lire ces séquences enchanteresses sobres mais inventives, pleines de rondeurs et d’imprévus, de couleurs douces et de traits vifs, où le temps qui passe devient la mesure à peine dilatée de l’impermanence des choses, d’une fragilité palpable. Malgré la fin, le mystère plane et les larmes montent face à cette mélancolie d’une bouleversante sincérité, profondément humaine et d’une rare profondeur. Cheminer et rêver aux côtés de Walt et Skeezix, c’est donc apprendre à vivre au rythme d’un apprentissage, nécessairement lent.
En sélection à Angoulême cette année dans la catégorie patrimoine, il est aux côtés de La Main verte (Nicole Claveloux), le favori désigné pour le Fauve !
______________________________
Walt & Skeezix.
Par Frank King.
Éditions 2024, 96 p., 35 €.
______________________________
Publiez un commentaire