Wannsee
20 janvier 1942. Quinze hauts-fonctionnaires ou responsables de second rang se réunissent secrètement dans la banlieue de Berlin à Wannsee, sous l’autorité de Heydrich, chef du RSHA. Ils devront « œuvrer dans l’obscurité ». L’ordre du jour est « la solution finale de la question juive ». Autrement dit « l’évacuation » de tout un peuple, des non-hommes pour les nazis. Le mot « évacuation » signifiant en fait une liquidation pure et simple. Mais rien n’est dit tel quel au cours de cette réunion qui entérine le génocide de plus de 5 millions de juifs…
Sujet difficile, l’assassinat de masse des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Fabrice Le Hénanff s’y attelle pourtant avec pudeur, dans le ton, neutre et détaché, et les compositions, sobres. On le sait, la décision « de la solution finale de la question juive » avait été prise en amont de la conférence secrète qui s’est tenue à Wannsee en janvier 1942. En revanche, on ne connaît pas dans le détail la teneur exacte des conversations qui s’y sont déroulées. Et pour cause, toute trace devait disparaître. On sait en revanche que Wannsee a permis d’imposer Heydrich comme seul maître de la solution finale et de faire du RSHA l’instrument de sa réalisation. Quinze représentants de diverses administrations et organisations (SS, NSDAP) scellèrent donc en une heure trente à peine le destin de plus de 5 millions de juifs. De cette « chambre d’enregistrement », Fabrice Le Hénanff en imagine l’atmosphère, les paroles, les réactions et réussit à faire ressentir le poids de l’Histoire pendant plus de 80 pages, en faisant le récit d’une réunion à huis clos, sans pathos ou ficelles grossières. Outre la volonté absolue du secret, les acteurs ont recours à des expressions euphémisées et ambiguës, ne nommant jamais la réalité du projet. Les détails macabres – le sort réservé aux Mischlinge notamment, les métis-succèdent aux réalités logistiques, économiques et territoriales. Quid de la rentabilité ? Comment épargner les bourreaux ? Aucune voix ne s’élève pour objecter, ou à peine. La banalité du mal.
Beau travail de synthèse, informatif et d’une précision d’horloger dans le trait. Visuellement, la partition est sobre mais sombre, comme pour saisir derrière les non-dits le drame en train de se jouer. S’inspirant de photos – voir le passage sur Babi Yar –, Fabrice Le Hénanff évite toute esthétisation pour lui préférer un réalisme crépusculaire, par de discrètes teintes, de l’ocre au gris, du vert au rouge. Les cadrages, eux, insistent sur les gestes, les attitudes et les regards qui en disent long, plus que n’importe quelle parole édulcorée. Fabrice Le Hénanff, avec une expressivité contenue, à bonne distance, transmet et le fait avec des choix graphiques pertinents. On recommande donc.
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