Washita : Gauthier, Labourot et Lerolle into the wild
Les Indiens d’Amérique n’ont pas toujours été en lutte contre l’homme blanc. Avant cette funeste rencontre, ils vivaient en harmonie avec la nature, selon des croyances et rites bien établis. C’est à partir de cette idée que Séverine Gauthier, passionnée de culture amérindienne, a développé la série Washita, quête initiatique et fantastique d’un Indien Cherokee, prévue en cinq volumes. La scénariste de 32 ans a fait appel à ses compères de toujours, le dessinateur Thomas Labourot et le coloriste Christian Lerolle, qui oeuvrent au sein de l’atelier 510 TTC. Ensemble, ils s’étaient plutôt adonnés aux albums jeunesse, avec Noodles, Team Galaxy ou le récent Mon arbre. Leur nouvelle collaboration est une bande dessinée d’aventures plutôt sombre, à l’éclatant design cartoon. Mais attention, on est ici plus proche de l’univers de Miyazaki que de Luuna, autre brillante série d’inspiration indienne signée Crisse et Keramidas. Explications des trois artistes sur cet audacieux projet.
Pourquoi avoir choisi de conter une légende amérindienne ?
Séverine Gauthier : Je termine actuellement une thèse sur cette culture, qui m’a amenée à travailler avec des tribus indiennes en Amérique. Je baigne donc dedans depuis cinq ou six ans.
Thomas Labourot : C’est moi qui ai encouragé Séverine à imaginer un scénario autour des légendes qu’elle me racontait en travaillant sur sa thèse. Je les trouvais vraiment très intéressantes, j’étais sûr qu’on pouvait en faire quelque chose.
S.G. : Je souhaitais surtout présenter la culture amérindienne avant l’arrivée de l’homme blanc. Car la plupart du temps, les bandes dessinées avec des personnages d’Indiens évoquent la période de la conquête de l’Ouest et se basent sur l’interaction entre les deux cultures, occidentale et autochtone. Je voulais montrer celle des Indiens avant qu’elle soit influencée, modifiée par la rencontre avec les colons.
Avez-vous repris une légende en particulier ?
S.G. : Non, l’idée était plutôt de créer une fiction fondée sur des éléments culturels authentiques. Toute la vie des Indiens Cherokees repose sur l’équilibre entre les hommes et la nature. Leurs croyances sont un art de vivre, c’est leur réalité, leur vision du monde. Pour eux, les animaux vivent comme les humains, en tribus. Ils parlent, tiennent conseil, prennent des décisions. J’ai ainsi repris le mythe cherokee des maladies: quand les animaux reprochent quelque chose aux hommes, ils développent une maladie dans le but de la leur transmettre et de se venger. Washita commence ainsi.
Cette idée et ce premier tome ressemblent beaucoup au début du dessin animé Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki.
S.G. : C’est vrai, mais je pense que cela doit être en partie inconscient, nous sommes tous très fans de son travail.
T.L. : De mon côté, j’avoue avoir fait des références directes à ce film. Notamment, quand le cerf noir attaque le village, j’avais clairement en tête l’arrivée du sanglier au début de Princesse Mononoké. Et mon dieu-cerf ressemble un peu celui dessiné par Miyazaki… J’adore son travail et lui avais déjà rendu hommage dans l’album jeunesse Mon arbre, en habillant – le temps d’une séquence – mon héroïne comme celle du Voyage de Chihiro… Mais pour Washita, nous ne l’avons pas plagié: nous reprenons des légendes amérindiennes qui sont effectivement très proches des sources d’inspiration de ce cinéaste.
Avez-vous voulu faire une BD écolo ?
S.G. : Je ne cherchais pas à inclure un message quelconque dans cette série. Mais le rapport de l’homme avec la nature, et la crainte permanente des Indiens de bouleverser l’équilibre m’amènent forcément vers une thématique écologique. On a rencontré des animaux dans le premier tome, et on va découvrir des plantes dans le suivant : car pendant que les animaux décidaient de transmettre une maladie aux humains, les végétaux les espionnaient et créaient de leur côté un antidote ! Je n’ai rien inventé là-dedans, ce sont de véritables légendes indiennes.
Est-ce une manière de faire revivre une culture menacée d’extinction ?
S.G. : Non, car je ne crois pas que la culture amérindienne soit en danger. Elle l’a été par le passé : l’administration américaine a tout fait pour la faire disparaître. J’ai des amis qui, enfants, se faisaient passer pour des Mexicains pour ne pas avouer leurs origines… Mais aujourd’hui, le tabou est levé, les Amérindiens redécouvrent leurs langues, leur culture. Ils se réapproprient leur identité. Et je ne pense pas que ce processus puisse s’inverser.
Comment s’est fait le choix d’un design si cartoon ?
S.G. : Nous avons visité un musée des civilisations au Canada et nous avons découvert l’art Haïda, dont nous sommes tombés amoureux. Nous avons passé un après-midi entier à admirer des totems amérindiens!
T.L. : J’ai été bluffé par leur style de dessin, par cet art déjà très cartoon et très moderne. Il y a des traits et des formes qu’on retrouve un peu aujourd’hui dans certains travaux de Pixar, par exemple. C’est vraiment étonnant ! Cet art nous a donc logiquement inspirés. Après, les doigts carrés de mes personnages sont influencés par ceux des héros du dessin animé Atlantide, l’empire perdu de Disney, auquel Mike Mignola avait participé.
Christian Lerolle, comment avez-vous abordé la mise en couleurs de cette série ?
Christian Lerolle : Au départ, j’étais parti sur quelque chose de très coloré, carrément cartoon. Mais ça ne fonctionnait pas totalement. Washita n’est pas un album jeunesse, car l’histoire porte une certaine tension et de la violence. De plus, les Indiens ne disposaient pas de pigments très variés, ni de couleurs vraiment éclatantes. Je me suis donc concentré sur une gamme automnale, terreuse. Puis nous nous sommes mis d’accord avec Thomas et Séverine sur une mise en couleurs par séquence, qui ne serait ni trop réaliste, ni trop fantastique. L’idée était d’aller vers un maximum de lisibilité.
Quels sont vos projets ?
T.L. : Je vient de terminer le tome 2 de Washita, qui sortira à l’automne, et j’ai entamé le suivant. Je dois aussi achever un album de la série Les Geeks, qui sortira à la rentrée.
C.L.: Pareil. Les Geeks et Washita.
S.G. : J’ai plusieurs idées, dont une bande dessinée jeunesse que Thomas et moi venons de proposer à un éditeur. On verra bien, mais maintenant que j’ai goûté à la BD ado/adulte, je suis un peu moins stressée et je recommencerais volontiers !
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Washita #1.
Par Thomas Labourot, Séverine Gauthier et Christian Lerolle.
Dargaud, 13,50 €, le 12 juin 2009.
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