Winshluss : « Déconner est une forme d’action »
Vincent Paronnaud, alias Winshluss, est encore un homme de l’ombre. Il est pourtant le co-réalisateur avec Marjane Satrapi du dessin animé Persepolis, et a déjà signé sept albums. Mais la publication de son monumental Pinocchio pourrait définitivement le faire sortir de l’underground: près de 200 pages au graphisme fou et à l’histoire absurde, sale et méchante – une des bandes dessinées les plus importantes de ces dernières années. À la fois discret et engagé, passionné et en perpétuel questionnement, Winshluss revient avec BoDoï sur la naissance de Pinocchio, l’aventure de la revue Ferraille et le film qu’il est en train d’achever.
Pourquoi avoir réinterprété l’histoire de Pinocchio ?
Je me suis plus inspiré du dessin animé de Walt Disney que du conte de Carlo Collodi. Pinocchio est l’un des premiers dessins animés que j’ai vu. C’était l’époque des bons films Disney : comme Blanche-Neige, Pinocchio a su conserver la cruauté du conte. Les personnages sont ambigus, et la transformation des enfants en ânes ou la séquence de la baleine, par exemple, sont des événements traumatisants. Et le parcours de rédemption du pantin qui apprend à ne pas mentir m’intéressait particulièrement.
Pourtant, votre version est loin d’être morale…
Oui, j’ai de l’éthique mais je ne suis absolument pas moral. Dans Pinocchio, je voulais montrer un peu de la complexité du monde et appuyer sur son aspect social. Dès qu’on tombe dans le social, il n’y a plus de morale… Pour tirer une morale de quoi que ce soit aujourd’hui, il faudrait être complètement bourré…
Même dans un conte pour enfant ?
Petit, on vous promet des choses, comme « liberté, égalité, fraternité ». Aujourd’hui, on vous dit « travailler plus pour gagner plus ». Et quand on grandit, on ressent un vrai sentiment de tromperie.
Que souhaitez-vous dénoncer dans votre livre ?
Je ne dénonce pas, je parle de différentes choses, qui sont – d’une certaine manière – des lieux communs. Je ne suis pas là pour illuminer la vie des gens. D’ailleurs, je déteste tous ceux qui prétendent le faire. Je déteste les gens ennuyeux, les trucs pesants, les repas de famille à Noël où on est obligé d’entendre toujours les mêmes trucs… Quand je n’ai rien à dire, je me tais. Si j’ai quelque chose à dire, je le fais en déconnant, car déconner est une forme d’action. Après, je ne pense pas provoquer, je n’ai pas de volonté de choquer. Je parle à des gens a priori pourvus d’un cerveau.
Votre Pinocchio est un petit robot, qui ressemble étrangement à Monsieur Ferraille, le personnage que vous avez créé avec Cizo…
Il faut croire que je suis un peu obsédé par les robots ! Mais Pinocchio est l’antithèse de Monsieur Ferraille car il n’a aucune personnalité. Il est un non-héros, une chose qui avance et provoque des événements malgré lui.
Vous utilisez différents styles graphiques dans cette bande dessinée. Est-ce difficile de passer de l’un à l’autre ?
Changer de style ne me pose pas de problème en soi ; si je ne me fais pas comprendre, là, il peut y avoir des difficultés. Le changement de registre graphique doit correspondre à un traitement narratif précis, car il signifie un changement d’émotion ou de tempo. Le plus dur est de matérialiser ce qu’on pense. Et comme j’ai une pensée flottante et que je n’aime pas l’aspect définitif des choses, je dois fournir un gros travail pour reproduire ce que j’imagine.
Le livre compte près de 200 pages et pourtant, l’aventure pourrait continuer…
J’avais la suite en tête, mais j’ai préféré conclure en laissant la porte ouverte. C’est un truc qui vient de l’enfance : quand j’étais petit, je me demandais toujours ce qui se passait après la fin du film. Le dénouement que je propose est le plus positif que je pouvais faire.
Pinocchio est né dans la revue Ferraille illustré, dont vous étiez rédacteur en chef, et qui s’est arrêtée en 2003. Ne vous manque-t-elle pas ?
Non, parce que ça me prenait vraiment trop de temps, je ne faisais plus rien d’autre. On en a bavé, mais on a fait ce qu’on voulait artistiquement. On a réussi à fédérer les éditeurs indépendants autour de ce projet, on a publié plein de jeunes auteurs. Mais économiquement, c’était une catastrophe. Je regrette donc simplement que les gens n’aient pas saisi ce qu’on faisait. Être moderne, c’est sans doute être à côté de la plaque…
Vous allez d’ailleurs rendre hommage à Ferraille dans l’expo qui vous est consacrée au prochain Festival d’Angoulême.
Oui et j’ai également réalisé un film pour retrouver les collaborateurs du journal. J’ai écrit le scénario avec Felder, qui joue également dedans. Nous en sommes au montage, et le moyen-métrage prévu initialement est en train de devenir un long-métrage… Le titre est Villemolle 81. Ça commence comme un reportage télé dans un village de province, puis une météorite tombe, il y a une contamination extraterrestre et ça devient un film de genre complètement débile. On y verra notamment Blutch, qui joue très bien l’abruti, et aussi Jean-Louis Gauthey de Cornélius, qui interprète un ancien militaire.
Quels sont vos autres projets ?
Pas de bande dessinée pour le moment, car j’ai fait une overdose avec Pinocchio. J’ai un projet de court-métrage avec Cizo, qui reprend une histoire de Ferraille, Il était une fois l’huile : un programme pour les enfants, sur le capitalisme. Et je travaille avec Marjane Satrapi sur le scénario de l’adaptation de sa BD Poulet aux prunes.
Propos recueillis par Benjamin Roure
© Winshluss – Les Requins Marteaux / Photo © BoDoï
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Pinocchio
Par Winshluss. Les Requins Marteaux, 30 €, le 28 novembre 2008.
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