Winter Road
Dans son bled du nord de l’Ontario, Derek fait flipper tout le monde. Il traîne sa grande carcasse et sa gueule burinée d’ancien professionnel de hockey sur glace entre le snack où il fait cuire des steaks, le bistrot où il noie sa détresse dans la gnôle et les vestiaires de la patinoire où il rumine, ivre, ses erreurs passées. Et s’il doit jouer des poings pour se faire respecter, il n’hésite pas – et c’est toujours lui qui gagne. Alors, quand sa soeur débarque après des années d’absence, sans prévenir et avec un vilain coquard sur le visage, ce pourrait être le signe d’un nouveau départ. Ou le début de la fin.
Scénariste de comics indé en vogue (Descender, Sweet Tooth, Animal Man, Trillium…), Jeff Lemire développe en parallèle, en tant qu’auteur complet, une veine de romans graphiques plus intimistes, que Futuropolis se charge de traduire en français. Ce nouveau gros volume (280 pages) se veut plus réaliste que les oniriques Jack Joseph et Essex County. Même si le fantastique n’est jamais loin, dans les visions de cet anti-héros brisé, soignant par la violence et l’alcool son mal-être et le mal qu’il a fait aux siens – dans la lignée d’un père indigne. Mais en empruntant une trame de drame social teinté de polar, très classique, à la manière de nombre de films américains, il se concentre sur le petit monde âpre d’un village froid du Canada, peuplé de paumés, de toxicos, de gens simples coincés là par la force des chose, ou de métisses amérindiens perpétuant tant bien que mal une culture mourante. Sa galerie de portraits est convaincante, empathique, saisissante grâce à son trait expressionniste et économe, mis en valeur par un usage subtile de lavis et de touches de couleurs. Petit bémol : on n’est jamais vraiment surpris par cet album qui n’est sûrement pas le plus original de son auteur. Mais on est embarqué sans forcer aux côtés de ce Derek en apparence détestable, et qu’on va finir par aimer. La marque des grands scénaristes, sans aucun doute.
Feuilletez des milliers de bandes dessinées gratuitement sur Sequencity
Publiez un commentaire