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Yunbo et Samir Dahmani, ici et là-bas

6 novembre 2017 |

yunbo-samir-dahmani-photoElle est Coréenne, lui Français. Ils se sont rencontrés pendant leurs études d’art à Angoulême et naviguent aujourd’hui main dans la main entre Séoul et les bords de la Charente. Yunbo et Samir Dahmani ont publié chacun leur premier album cet automne, en même temps, chez Warum et Steinkis (deux labels du même groupe). Je ne suis pas d’ici pour la première, Je suis encore là-bas pour le second, deux livres parallèles mais indépendants, deux fictions largement empreintes de la réalité, celle des jeunes femmes coréennes parties étudier à l’étranger, qui peinent à s’intégrer dans le monde occidental mais qui le regrettent une fois revenues en Asie, où elles peinent à retrouver une place dans la société. Un sujet rare et ambitieux, pour deux albums qui ne le sont pas moins. Interview de ces deux jeunes gens sans frontières, parmi les plus belles révélations de l’année BD.

Yunbo, à quel point votre album est-il autobiographique ?

Yunbo : Bien entendu, tout n’est pas 100% véridique dans ce que je raconte… Mais tout est très imprégné de la réalité ! Je voulais montrer le ressenti d’une étudiante étrangère dans une école supérieure française. Tout ce qui tourne autour de ce sujet est directement tiré de mon expérience.

C’est la langue française, son usage et sa compréhension, qui représentaient alors le plus gros obstacle à votre intégration.

Jenesuispasdici_pizzaY.: Oui, car mon manque de maîtrise de la langue m’empêchait d’exprimer mes émotions comme je l’aurais souhaité.

Samir Dahmani : Et quand on ne comprend pas une langue, on ne peut pas comprendre la culture ni la façon de penser des gens. De mon côté, c’est d’abord pour cela que je suis parti en Corée après l’école: apprendre la langue.

Y.: Dans Je ne suis pas d’ici, j’ai centré mon récit autour de cette problématique d’incompréhension plutôt que de me mettre en scène comme dans un journal intime. Thierry Groensteen [théoricien de la BD et prof à l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême, où ont étudié Yunbo et Samir Dahmani – NDLR] m’avait inquiétée, car il m’avait parlé d’une BD d’une Coréenne qui vivait aussi à Angoulême et qui racontait son expérience [Yoo-sun Park, auteure de En Corée – NDLR]… Je suis allée jeter un oeil à son livre, mais heureusement elle avait choisi, elle, le registre du journal intime.

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D’ailleurs, rapidement, vous laissez tomber les traits humains de votre héroïne/alter ego pour des traits canins.

Y.: C’est parce que j’adore dessiner les animaux ! Au départ, comme je ne voulais pas que les gens se reconnaissent dans ma BD, je n’ai dessiné que des têtes d’animaux. Mais ça ne fonctionnait pas avec l’approche réaliste qui était la mienne. Alors j’ai opté pour une tête de chien pour mon personnage principal, comme un masque qui renforce son sentiment d’être étrange parmi les Européens.

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Comment se sont faits les choix graphiques de vos albums ? À la fois proches et très différents.

Y.: Instinctivement, je vois la France comme un pays en nuances de gris. Avec un peu de bleu. Mais quand je dessine les Français, je suis toujours en train de demander à Samir si ce que je fais est possible, si les gens vont comprendre ce que je veux dire!

S.D.: Moi c’est pareil quand je dessine la Corée ! Durant mes séjours là-bas, j’ai rempli énormément de carnets de croquis. Dans la continuité, j’ai voulu donner un aspect carnet de voyages à ma BD, en immergeant le lecteur dans les décors, dans les rues, les magasins. Sans gris, avec un trait noir, quelques rares touches de couleurs, un vrai contraste.

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Y.: Une fois l’album terminé, je pensais être super contente. Mais en fait, je n’ose plus trop l’ouvrir, j’ai un regard trop critique dessus maintenant.

S.D.: Quand nous avons bouclé le projet, j’ai pour ma part eu une certaine nostalgie de notre travail parallèle sur ces livres, ces 150 pages dessinées en un an, côte à côte…

JeSuisEncoreLaBas_ecoleSamir, vous traitez dans votre album de ce qui pourrait être le retour en Corée du personnage de Yunbo, une jeune femme angoissée par la pression sociale et regrettant sa vie d’expatriée. L’avez-vous écrit en même temps que Yunbo le sien ?

S.D.: Oui et non. En fait, quand Yunbo s’est mise à son livre, j’avais déjà un projet sur la Corée, qui s’appuyait sur des témoignages de jeunes femmes recueillis sur place, autour de cette thématique du retour au pays après des études à l’étranger. Mais j’avais aussi envie d’évoquer le livre de Gogol Le Nez, dans lequel je voyais beaucoup de correspondances avec la Corée. C’est quand nous avons trouvé nos éditeurs – Warum et Steinkis sont dans le même groupe – que le projet a pris forme et que nous avons vraiment travaillé à deux livres parallèles.

Que vous ont-elles raconté, ces Coréennes qui ont inspiré votre personnage ?

S.D. : Qu’elles se sentaient en décalage avec leur famille, leurs amis, la société. En général, elles partent étudier à l’étranger – en priorité aux États-Unis, en Angleterre, en France, en Allemagne – pour évoluer intellectuellement et surtout grimper dans l’échelle sociale. Finalement, quand elles reviennent, ce n’est pas forcément plus simples pour elles de trouver de bons jobs. Sauf peut-être pour les traductrices, car les entreprises ou les institutions en ont toujours besoin.

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Vous évoquez une pression sociale écrasante sur ces jeunes femmes, notamment au niveau du mariage.

S.D. : Oui, en Corée comme au Japon ou en Chine, la pression familiale pour le mariage est énorme. Il est très valorisant pour des parents de voir sa fille épouser un cadre d’une grand entreprise – s’il travaille chez Samsung, c’est le top ! Car il y a aussi une forme de concurrence entre familles sur l’éducation puis la carrière et le mariage des enfants. De plus, il y a une tradition qui veut que le fiancé achète un appartement avant de pouvoir épouser une jeune femme. Et la mariée, elle, devra acheter de quoi meubler l’appartement. C’est souvent très dur, surtout dans des villes chères comme Séoul.

Il y a aussi une pression sociale sur la beauté physique.

Y.: C’est vrai, les Coréens sont très exigeants sur les apparences. Pour les filles comme pour les garçons d’ailleurs.

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Mais pourquoi tous ces jeunes Coréens partis étudier à l’étranger ne se rebellent-ils pas, un peu à l’image de votre héroïne, contre ce système?

Y.: Il est vrai que certains jeunes ne réussissent pas améliorer leur niveau de vie, comme leurs parents le voudraient. On peut espérer qu’ils ne mettront pas la même pression sur leurs propres enfants.

S.D.: Dans 20 ou 30 ans, avec les prochaines générations, ça devrait évoluer. Je pense en tout cas que c’est le bon moment pour évoquer ces sujets. Les anciens ont énormément travaillé pour redresser leur pays après la guerre. Et ils ont réussi, au prix d’importants sacrifices. Aujourd’hui, la Corée est un pays de haut niveau, les jeunes aspirent donc à vivre autre chose qu’une vie de sacrifices. Mais on ne peut pas tout changer d’un coup.

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Je ne suis pas d’ici.
Par Yunbo.
Warum, 15 €, septembre 2017.

Je suis encore là-bas.
Par Samir Dahmani.
Steinkis, 15 €, septembre 2017.

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