Zeina Abirached revisite son Liban
L’année dernière, elle racontait son enfance dans Beyrouth en guerre au fil des planches du Jeu des hirondelles. Zeina Abirached, 27 ans, poursuit son exploration de la mémoire libanaise dans Je me souviens, un recueil d’histoires de différents formats, modelé sur le Je me souviens de Georges Pérec. De son trait noir et blanc très rond, aux motifs soigneusement ciselés, la jeune auteure détaille les coupures d’électricité pendant les dessins animés, son père qui écoute très fort la musique afin de couvrir le chaos de l’extérieur, ou la R12 bleu marine de sa mère, dont le pare-brise explose à chaque chute d’obus. BoDoï vous offre en avant-première un épisode de ce nouvel album, commenté ci-dessous par l’artiste.
Pourquoi revenir sur votre enfance libanaise ?
Une fois Le Jeu des hirondelles terminé, je pensais en avoir fini avec elle. Je croyais pouvoir passer à autre chose, or cela m’a rattrapée. J’avais encore des choses à dire, des souvenirs à exprimer. J’ai relu récemment Je me souviens de Pérec. À la fin de son livre, on trouve trois ou quatre pages laissées vierges à la demande de l’écrivain, pour que le lecteur y note ses propres souvenirs. Je me suis prise au jeu, et ces quelques pages ne m’ont pas suffi… Je ne sais pas si ce nouvel ouvrage sera le dernier sur mon enfance à Beyrouth. Je pense aujourd’hui que la boucle est bouclée, mais je le croyais aussi en terminant Le Jeu des hirondelles ! Comme je n’ai pas envie de me bloquer, je reste ouverte à toutes les possibilités. Et puis rien n’est prémédité, les choses s’imposent parfois à vous…
Pourquoi citer le réalisateur Chris Marker en introduction ?
Son film La Jetée m’a beaucoup marquée. Et je suis tombée sur un reportage sur le site Internet d’Arte le mêlant au Je me souviens de Pérec, justement. La phrase de Chris Marker que je cite* évoque un peu ce que je ressens. Certes, je le dis à chaque fois, j’ai eu beaucoup de chance : ma famille a été épargnée par la guerre. Mais je reste marquée par ces événements et leur suite, en particulier la normalité obligatoire qui s’est ensuivie et l’amnésie des habitants, qui ont agi comme si rien ne s’était passé. Je n’ai pas fait le deuil de cette période, et des cicatrices
– relatives – surgissent.
L’histoire que BoDoï prépublie raconte la nuit du 27 janvier 1989. Que s’est-il passé ?
J’avais alors huit ans. Ce jour-là, après une journée de cours à l’école, nous n’avons pas pu rentrer chez nous : les autocars étaient bloqués car les routes avaient été coupées. Il fallait dormir sur place, dans le gymnase. C’était effrayant, mais il y avait un certain côté ludique à ce camping improvisé. Nous étions nourris de sandwichs au « smeds », un fromage hollandais jaune, genre Vache-qui-rit, pratique en ces temps de panne électrique car il ne fallait pas le conserver au frigo. Nous dormions dans des sacs de couchage prêtés par des militaires, qui sentaient le poivre – alors utilisé comme antimites. Je me souviens que j’étais agitée, et qu’une institutrice m’avait enfermée dans une salle de bains pour que j’arrête de faire des bêtises ! Le lendemain, nos parents étaient venus nous chercher. Ensuite, ça a bardé de nouveau et nous ne sommes plus allés à l’école pendant un moment…
Quels sont vos projets ?
Mon prochain album évoquera probablement mon grand-père, dont je suis en train de recueillir les propos. Il a eu une vie intéressante, puisqu’il a connu le mandat français, l’indépendance du Liban et le début de la guerre en 1975. Cet autodidacte a été producteur de musiques orientales. Je prépare aussi un livre sur la préparation d’un repas au Liban, avec de vraies recettes.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
* « Rien ne distingue les souvenirs des autres moments.
Ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître à leurs cicatrices. »
Lire l’histoire courte de Zeina Abirached.
© Abirached – Cambourakis
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Je me souviens par Zeina Abirached
Cambourakis, 12,90 €, le 3 décembre 2008.
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