Zidrou monte au front pour « Les Folies Bergère »
Il est partout à la fois, jouant sur tous les registres. Quand il ne scénarise pas les séries humoristiques Tamara, L’Elève Ducobu ou Djizus, Zidrou raconte Lydie avec Jordi Lafebre ou La Peau de l’ours avec Oriol. Dans Les Folies Bergère — un album subtilement dessiné par l’Espagnol Francis Porcel —, cet ancien instituteur et directeur d’école s’attaque à la Grande Guerre, et surtout aux réactions d’hommes plongés dans l’horreur pure. Sous les obus, la 17e compagnie d’infanterie est témoin d’un miracle et rêve, un jour, d’aller voir des danseuses lever la jambe à Paris. En pestant contre le fauteuil “tout à fait stupide” du bar chic où il est inconfortablement installé, le scénariste revient sur son travail.
Comment est née la galerie de personnages que vous mettez en scène : un officier amateur des écrits de Jules Verne, son ami d’enfance devenu curé, un fusillé dont les plaies cicatrisent miraculeusement… ?
Ouh la… J’ai écrit cet album il y a plus de cinq ans et, comme je fonctionne de manière instinctive — avec moi les idées se mettent en place naturellement —, j’ai toujours du mal à répondre à ce type de questions en interview. J’ai écrit Les Folies Bergère en cinq semaines environ, je suis un éjaculateur précoce !
Vous suivez tout de même un processus créatif…
Les scènes me viennent toutes seules, je me retrouve comme possédé par une bestiole installée dans ma tête, qui m’indique quoi faire.
Chaque scénario vous vient-il avec cette même facilité ?
Les plus rapides à écrire, ce sont les albums humoristiques en 44 pages : ça tombe automatiquement, sans que je bâcle les choses pour autant. Malheureusement, les éditeurs les refusent. Aux histoires au long cours, ils préfèrent les gags. Les nouvelles séries d’aventures ne se vendent pas : regardez le cas d’Emile Bravo, il aura fallu qu’il publie un one-shot de Spirou [Le Journal d’un ingénu] pour que l’on redécouvre la qualité de son Epatante aventure de Jules.
Comment vous êtes-vous préparé à traiter de la Première Guerre mondiale ?
J’ai lu un Gallimard Découvertes et visionné des documentaires sur le sujet — choses qui suffisaient à mon niveau intellectuel ! Je n’avais pas besoin d’être ultra documenté sur le sujet : je savais bien qu’il n’y avait pas de téléphones portables à l’époque… Ce qu’il me fallait, c’était un décor cohérent, c’est tout. Ensuite, je suis revenu sur des thèmes qui me sont chers et que l’on retrouve dans quasiment tous mes livres : la foi, la solidarité, la rébellion, le fantastique, les bébés…
Vous introduisez même Claude Monet dans l’histoire.
Oui, je suis fan de ses Nymphéas. Il me permettait de sortir des tranchées et des odeurs de cadavres; et d’introduire le questionnement de l’artiste à propos du conflit : comment se sentir utile lors d’une telle tuerie, lorsqu’on peint ?
Pourquoi avoir choisi comme théâtre la Première Guerre mondiale ?
Je l’ai fait à la demande de Francis Porcel, passionné par 14-18 — d’ailleurs, d’un trentenaire andalou, je m’attendais à tout sauf à cela ! Quand on sait qu’un dessinateur va passer un an sur un ouvrage, autant lui donner ce qu’il aime.
Vous-même n’êtes donc pas particulièrement intéressé par le sujet ?
Ce qui me motive, c’est une bonne histoire avec des personnages forts. Qu’ils se trouvent dans un ascenseur ou sur le front m’est complètement égal. Par contre, je tiens à éviter de me répéter : j’ai refusé un spin-off de L’Elève Ducobu, pour ne pas me scléroser. Je veux absolument tenter de nouvelles choses.
L’ombre de Tardi ne vous a-t-elle pas inquiété ?
Non. J’apprécie beaucoup son travail, mais il est différent du mien : Tardi ne s’implique pas, ne se met pas en danger. Il raconte la guerre et le fait très bien, mais ses personnages sont un prétexte, ses soldats n’ont pas de texture. Alors que les tranchées peuvent servir de théâtre à un huis-clos captivant…
Quel parti avez vous pris pour montrer la violence ?
Des hommes partis la fleur au fusil, en chantant, persuadés qu’ils reviendraient dans trois mois, ont été massacrés. Il me fallait donc rendre franchement compte de cette horreur. Pour les aider à affronter le combat, les officiers donnaient à leurs hommes de l’alcool seulement, pas des drogues comme au Vietnam ou des excitants comme au Koweït…
Comment avez-vous collaboré avec le dessinateur Francis Porcel ?
Mis à part quelques remarques, je ne me suis pas trop mêlé de son travail — sinon je passerais ma vie à ça ! Francis (qui m’a été présenté par Dargaud) a adopté un trait plus sombre et dur que d’habitude, pour renforcer le côté oppressant, inéluctable de l’histoire.
Comment la diversification de votre registre, au début très centré sur l’humour, s’est-elle opérée ?
Après un premier virage vers la noirceur avec ProTECTO [une série dessinée par Matteo, publiée d’abord sous le titre Mèche rebelle au début des années 2000], j’ai peiné à placer des scénarios sérieux. Les éditeurs ne voulaient que du Ducobu ! On me conseillait même de prendre un pseudo et de tenter une carrière parallèle. Alors j’ai changé de tactique : j’ai cherché de jeunes dessinateurs talentueux, pour réaliser quelques planches à partir de mes récits. Et ça a marché : les images se sont révélées beaucoup plus alléchantes qu’un texte brut.
Quels sont vos projets ?
Ils sont multiples, comme d’habitude… Pour n’en citer que quelques-uns, un Ducobu, un Tamara, mais aussi Le Beau Voyage avec Benoît Springer, autour d’un enfant de substitution ; Marina avec Matteo, qui se passera à Venise au XIVe siècle ; un one-shot de Spirou dessiné par Frank Pé, un autre avec Marc Hardy…
Pas d’appel du pied du cinéma ?
UGC me réclame une comédie, mais je n’ai pas le temps. Il faut que j’alimente les projets déjà signés, et que je vive ma vie : je ne travaille que le matin, car je valorise mes autres activités. Je nage dans ma piscine, je joue au tennis, à des jeux de société, je me balade, je fais la sieste, je m’occupe de mes enfants… J’ai aussi envie de monter une troupe de théâtre de marionnettes. Quand on est scénariste, on ne peut pas pondre de bonnes histoires à jet continu, 8h par jour. Il faut s’aérer l’esprit…
Ressentez-vous les effets de la surproduction en bande dessinée ?
Je me sens encore à l’abri de la crise, les films tirés de L’Elève Ducobu ont remonté les ventes des albums, Tamara marche bien… Mais je sais que la situation n’est pas rose : de nombreux collègues voient leurs séries arrêtées et me réclament un scénario pour relancer la machine. Malheureusement, je ne peux répondre positivement à tout le monde…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Les Folies Bergère
Par Francis Porcel et Zidrou.
Dargaud, 16,45€, le 28 septembre 2012.
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Images © Dargaud.
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Trés bon et beau livre. En effet, ce n’est pas du tout le même traitement que Tardi!
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zidrou et frank pe en 2013??? deja avant je vous avais attend depuis en 2008 j ai marre se patincer… amitie merci ,-))
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