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Achdé : « Je me dessine les Lucky Luke que j’aimerais lire. »

28 novembre 2008 |

achde_intro.jpgAchdé a adopté le graphisme de Morris avec un naturel étonnant. Son secret ? Beaucoup de travail, confesse-t-il, et une véritable passion pour Lucky Luke, a-t-on envie d’ajouter. Accompagné au scénario de l’humoriste Laurent Gerra, Achdé écrit des albums dans le style et l’esprit originels. Ce serait dommage de modifier le ton d’une série qui séduit depuis 1946 : comme nous l’a annoncé Achdé, le premier Lucky Luke qu’il a réalisé avec Laurent Gerra s’est vendu à 700 000 exemplaires…


On vous sent parfaitement à l’aise avec le graphisme de Morris dans ce 3e Lucky Luke que vous dessiné…

Je ne sais pas si c’est le cas. J’ai le triste avantage d’être un auteur besogneux, toujours flippé par ce que je fais. J’ai pris plus de plaisir à dessiner ce tome que les précédents, parce que je ressens moins la pression qu’au début. Ma main s’est lâchée. Et puis je sais maintenant que je vais faire un bout de chemin avec Lucky Luke. Au départ, c’était très étrange pour moi d’arriver dans mon atelier, d’y trouver des dessins de Lucky Luke et de me dire que j’en étais l’auteur.

lucky_01.jpgVotre trait est plus rond dans votre série CRS = détresse (avec Cauvin, Dargaud). Comment s’effectue le passage d’une série à l’autre?
Voilà deux ans et demi que je n’ai pas dessiné un CRS et je crois que j’aurai du mal à m’y remettre car mon trait est devenu morrissien. J’ai toujours besoin d’un ou deux mois pour passer d’une série à l’autre. C’est un peu compliqué mais je ne suis pas le seul auteur schizophrène. Giraud et Conrad ont régulièrement et brillamment changé de styles.

Pour cet album vous surfez sur l’actualité en parlant d’élection du président des États-Unis.
J’avais proposé à Laurent Gerra que l’on parle politique, pour l’inspirer. Un album se prépare longtemps à l’avance, et quand j’ai lancé le sujet, je ne m’étais pas rendu compte que la sortie coïnciderait avec les élections américaines. Mon idée était surtout de mettre en avant un personnage inhabituel partant à la découverte de l’Ouest, comme Morris et Goscinny l’avaient fait dans Le Grand Duc.

Et ce personnage est le 19e président américain…
En m’occupant des recherches historiques, je suiachde.jpgs tombé sur ce type extraordinaire. Rutherford Birchard Hayes est reconnu pour avoir été un bon président, ce qui est déjà rare. Il avait promis de ne faire qu’un mandat et il a tenu parole. Sa femme, Lucy, est aussi étonnante. Sans être prohibitionniste, elle était contre l’alcool et ne buvait que de la limonade. Elle était surnommée « Lemonade Lucy » et a fait interdire l’alcool à la Maison blanche. L’histoire devient franchement cocasse quand on sait que Rutherford Hayes était fils de brasseurs de whisky ! Nous avons même dû limiter les références historiques de peur de ne pas être crus. Par exemple, nous avons ignoré le fait que Lemonade Lucy ait refusé que son mari soit investi à la présidence un dimanche, pour cause de jour dédié au Seigneur !

Vous entraînez aussi Lucky Luke dans une étonnante ville allemande en plein cœur de l’Ouest !
Hermann existe réellement. Il faut se souvenir qu’au XIXe siècle, il y avait des villes entières qui ne parlaient pas anglais, puisque les colons venus d’Europe se regroupaient en communautés. Laurent Gerra voulait emmener Lucky Luke en Allemagne, pour pouvoir placer un jeu de mot sur le mur de Berlin. Et avouez qu’une fête de la bière au milieu de l’Ouest, c’est plaisant. En utilisant ces références historiques, nous ne faisons que poursuivre le travail de Morris et Goscinny. Bien que l’univers de Lucky Luke soit un pastiche, il s’appuie sur une base historique. Leurs albums étaient toujours éducatifs en plus d’être amusants.

Comment travaillez-vous avec Laurent Gerra ?
C’est compliqué, ça change à chaque tome. Pour cet album, Laurent était en vacances, à 5 000 bornes de moi, et il n’a pas l’habitude d’Internet. Alors quand on se voyait, on travaillait dur. L’important au final, c’est que l’album soit efficace et drôle.

lucky_03.jpgCombien d’albums devez-vous faire avec Laurent Gerra ?
On a la chance d’être libre dans ce métier. Je n’ai pas de contrat d’exclusivité avec Lucky Comics, je ne suis pas tenu de faire 35 albums. Je suis dans une relation de confiance avec mes éditeurs, Philippe Ostermann et Jacques Pessis. D’ailleurs, Laurent et moi n’avons pas de cahier des charges à respecter. Nous n’en avons pas besoin, nous avons été choisis pour notre volonté de rester dans les traces de Morris. Je ne suis pas là pour révolutionner Lucky Luke.

On n’imagine pas une reprise d’Hercule Poirot ou de Tom Sawyer par d’autres écrivains. Qu’est-ce qui explique que les héros de BD soient sujets à reprise selon vous ?
Il faut se souvenir que c’est avant tout une volonté des auteurs. D’ailleurs, il y a bien une suite aux livres de San Antonio puisqu’il l’a voulu ainsi. Et puis je pense que c’est plus facile de se couler dans un dessin que dans un style littéraire. La difficulté d’une adaptation en bandes dessinées, c’est de respecter l’esprit.

En quoi Lucky Luke est-il toujours un héros actuel selon vous ?
Il véhicule des idées sympas que l’on a tendance à oublier. Lucky Luke est désintéressé, juste, loyal, et il a beaucoup d’humanité. On pourrait dire que c’est caricatural. Mais nous faisons passer ces valeurs à travers le rire. Je pense que les enfants sont sensibles à ces convictions.

Qui sont les lecteurs de Lucky Luke ?lucky_02.jpg
Le public a évolué. À la sortie du premier album, nous avons rencontré en dédicace les aficionados qui venaient voir ce que l’on avait fait de leur héros. Mais dès le deuxième, nous avons vu arriver des enfants qui connaissent Lucky Luke grâce au dessin animé, et pas par Morris. L’important c’est le personnage, pas l’auteur. Je suis content d’être au service de Lucky Luke.

L’un des dilemmes de Spirou, par exemple, consiste à savoir s’il faut continuer la série telle quelle ou la moderniser pour plaire aux jeunes. Même débat pour Lucky Luke ?
Je trouve personnellement que ce que l’on fait avec Spirou est du gâchis. Je ne juge pas ici le travail des auteurs, mais je trouve ça ridicule de se demander si Spirou doit toujours être habillé en groom. À l’époque de Franquin non plus ça n’avait pas de sens, et ça ne choquait personne. Si moderniser Spirou signifie lui mettre un jean et un blouson noir, alors on fait Lucien, ou une autre série, mais pas Spirou. Moderniser Lucky Luke ça voudrait dire lui remettre sa clope au bec, l’envoyer dans un saloon et faire une série à la Deadwood ? Autant écrire un nouveau western et ne pas reprendre Lucky Luke dans ce cas.

Quelles facettes du personnage aimeriez-vous encore explorer ?
J’aimerais me plonger dans son passé. Un peu comme dans Kid Lucky . Ou l’emmener à la Nouvelle Orléans, à la rencontre des premiers jazzmen. Ou bien faire une aventure sur un bateau. Ou, carrément, le faire venir en France ! Vous savez je suis plus un lecteur de Lucky Luke que son auteur. Je me dessine les albums que j’aimerais lire. Travailler sur Lucky Luke, c’est un rêve de gosse pour moi. Je remercie vraiment Francine, la veuve de Morris, de m’avoir permis de le réaliser.

Propos recueillis par Allison Reber


Images © Lucky Comics

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Les Aventures de Lucky Luke d’après Morris #3
par Achdé et Laurent Gerra. Lucky Comics, 9,25 €, le 5 décembre 2008.
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