Acting Class
Une mère célibataire paniquée, un couple respirant l’ennui, une grand-mère et sa petite fille adulte autiste, un pervers repenti, un modèle vivant en quête de soi, un grand gaillard cherchant de l’affection… Cette petite troupe d’êtres dépressifs se retrouve à un cours de théâtre, mené par un certain John Smith. Ce dernier ne va pas leur parler de tragédie ou de Shakespeare, mais va les faire se plonger au plus profond d’eux-mêmes à travers des exercices d’improvisation. Jusqu’à ce qu’ils constituent entre eux un monde fantasmé, qui va prendre le pas sur leur monde réel…
Après les intéressants Beverly et Sabrina, loués par la critique, ce nouveau (et toujours massif) roman graphique de Nick Drnaso poursuit l’exploration de la psyché malade de la lower middle class américaine, cette fois-ci sans détour par un fait divers, un discours politique, ou une intrigue prétexte. Non, là, l’auteur met face à face le lecteur avec une bande de personnages cherchant qui un sens à leur vie, qui un peu de tendresse ou d’écoute. Ensemble, ils vont être manipulés par ce qui pourrait s’apparenter à un gourou, en tout cas un drôle de type qui va agir sur leur inconscient.
Là est le plus fascinant dans cette bande dessinée : la constitution, séance après séance, d’un monde imaginaire refuge (on pourrait transposer l’idée aux jeux vidéos, comme dans le récent Le Syndrome de l’iceberg, par exemple), dans lequel vont se noyer les protagonistes. Sans jamais trancher entre la manipulation sectaire ou le fantastique, Nick Drnaso fait un choix pertinent, déployant le malaise de son histoire à un niveau global, vertigineux. Hélas, sa mécanique tourne à vide et agace.
D’abord, sa mise en scène frontale en petites cases resserrées dans un format quasi carré se veut étouffante : elle l’est, mais le procédé fait long feu et finit par devenir soporifique. Ensuite, son dessin joue sur l’absence d’effet et d’expressivité, comme pour mieux incarner la déshumanisation des sociétés modernes : mais ce trait faussement maladroit, ses visages interchangeables et ses couleurs mornes sont bien trop artificiels, surlignant à outrance son propos, et devenant par là-même juste ennuyeux et pénibles à regarder. Enfin, ses dialogues sonnent creux et plats, à tel point que certains passages semblent avoir été écrits par une intelligence artificielle : là aussi, c’est volontaire, évidemment, mais un tel manque de subtilité finit par hérisser.
On a souvent comparé Nick Drnaso à Chris Ware ou Daniel Clowes. Mais là où le premier réussit toujours à toucher dans les parcours de vie ratés qu’il dépeint, et où l’autre sait imaginer des histoires complexes qui triturent l’inconscient collectif, sans parler de leur véritable maestria graphique, l‘auteur d’Acting Class manque son coup avec cet album faussement intello et exempt de toute sensibilité, tant narrative que visuelle, à l’exception de sa très belle couverture.
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