Aller au ciel pour voir
Jesús revient dans son quartier, une banlieue andalouse sale et violente, peuplée de grands gamins désœuvrés, de doux dingues en pagaille, d’alcooliques chroniques, de petits caïds vicelards, et de petites gens courbant l’échine. Il est parti pendant plusieurs années mais rien n’a vraiment changé chez les habitants, si ce n’est quelques kilos en plus, quelques dents et cheveux en moins. Et Irene, qui a un enfant maintenant et qui se prostitue pour joindre les deux bouts. Y a-t-il encore une place pour Jesús ici, et dans le coeur d’Irene ? Et si oui, à quel prix ?
C’est à une tragédie sociale que nous convie ici le Sévillan El Irra, dans une bande dessinée d’une rare âpreté et d’une violence crue. Une tragédie car son scénario emprunte aux classiques antiques leur trame immuable : le retour d’un personnage autant aimé qu’honni, annonciateur de renouveau mais aussi de mort, dont l’issue sera forcément funeste pour l’un ou l’autre des protagonistes de ce petit théâtre de la culpabilité et du ressentiment. Sociale, car l’auteur andalou s’attache à dépeindre un quotidien qui lui est familier, une cité dégénérée, un petit enfer sur terre aux trottoirs maculés de sang et d’excréments, duquel on ne peut s’extraire que les pieds devant. À ce scénario sans l’once d’un espoir, il associe un trait taillé à la hache, au découpage titubant et aux cadrages brutaux. Entre BD européenne moderne et comics indé, son graphisme tranché et sa mise en couleurs très intelligente sont suffisamment bluffants pour tenir le coup jusqu’au bout de ce récit noir, très noir, presque trop. Alors, irez-vous au ciel pour voir ? Il faudra en tout cas être prêt à être bousculé.
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