Au Bonheur des Dames
On est en 1864 et Denise Baudu, 20 ans, débarque à Paris de sa Normandie natale flanquée de ses deux frères, de 16 et 5 ans. La jeune fille frêle en a la charge, après le décès de leurs parents. Ses espoirs sont cependant vite douchés : son oncle, qui un an auparavant lui proposait par courrier un emploi dans sa boutique, a du mal désormais à finir le mois. En cause, l’ouverture, juste en face, d’un grand magasin : Au Bonheur des dames. Celui-ci ne cesse de s’agrandir aux dépens des petits commerces, porté par l’ambition de son propriétaire, Octave Mouret. Et si Denise essayait d’y travailler ?
Ce roman feuilletonnant, grand classique d’Émile Zola et onzième volume de la suite romanesque Les Rougon-Macquart, coche beaucoup de thèmes chers à l’écrivain, voguant entre richesse et pauvreté, misère et démesure, selon l’étage et le magasin où l’on se trouve. C’est le personnage de Denise, au centre de l’intrigue, qui traverse ces deux mondes, y rencontrant les mêmes amours contrariées et ambitions calculées. Chacun regorge de personnages truculents, qui attachant, qui vil et affligeant, qui tout en même temps.
Il fallait tout la finesse et la fluidité d’Agnès Maupré pour s’attaquer à ce grand classique de la littérature française, et le défi est relevé avec allure. La profusion de dialogues se marie avec aisance aux couleurs chatoyantes des étoffes et autres fanfreluches qui se nichent dans tous les recoins du découpage clair et ciselé. La robe noire de l’héroïne s’y glisse avec élégance, et permet un jeu graphique joliment maîtrisé.
Le feuilleton à rebondissements y est presque intégralement retranscrit, sans que la densité de l’histoire ne gêne la clarté du récit. Emporté dans le Paris du Second Empire, on se passionne facilement pour cette jeune ingénue qui ne s’en laisse pas compter, séduite par la modernité mais ancrée dans l’humanité, dont la tignasse « mal peignée » serait presque, sous le trait de l’autrice, un personnage à part entière. Le conflit entre la modernité des grandes enseignes et le savoir-faire des petits commerces semble, quant à lui, être un feuilleton qui n’a jamais quitté l’actualité.
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