Au coeur des ténèbres
Partir. Prendre la mer. Défricher un pays inconnu. L’aventure, en somme, pour le jeune Marlow, mandaté par une compagnie européenne pour prendre un poste au fin fond de la jungle africaine, où l’on piétine l’homme noir et décime les éléphants pour l’ivoire. Mais ce qu’il n’avait pas imaginé, c’est que l’aventure peut rapidement se transformer en cauchemar, et le parcours initiatique en descente aux enfers. Car en remontant le fleuve hostile pour sauver le mystérieux Kurtz, Marlow va vivre une expérience quasi mystique, se confronter à son propre reflet, celui d’un homme blanc et inculte, paumé et arrogant sur une terre qui n’est pas la sienne…
En adaptant le fameux roman de Joseph Conrad Heart of Darkness, qui inspira en son temps Francis Ford Coppola pour Apocalypse Now, Stéphane Miquel et Loïc Godart (Le Joueur) jouent avec le feu, et prennent le risque de trop montrer. Car cette plongée au coeur des ténèbres fonctionne justement par le regard flou de Marlow, qui découvre au fur et à mesure les ravages absurdes et sanguinaires du colonialisme, et se projette dans la figure invisible de Kurtz, l’homme qui a fait corps avec la terre d’Afrique. Mais les auteurs relèvent le défi avec brio, optant pour des récitatifs en voix off longs et denses. Entêtants. Hypnotiques. Qui insufflent un rythme lent et régulier au récit, comme le mécanique vrombissement du moteur qui fait tant bien que mal avancer le bateau sur le fleuve. Le dessin semi-réaliste de Godart, soutenu par un brun tirant plus ou moins sur le rouge, fonctionne en parfaite adéquation, grâce à des cadrages intelligents et un choix d’images fort. Il le fallait, car cette espèce de huis clos fluvial sur un vieux rafiot pouvait se révéler ennuyeux graphiquement – il n’en est rien. Tout est mis en oeuvre pour mettre en avant l’idée et le texte de Conrad, et cette superbe transposition en bande dessinée ne pourra que donner envie de se plonger dans le livre original, non pour comparer, mais pour prolonger le voyage. Mission accomplie.
Publiez un commentaire