Bandonéon ***
Par Jorge Gonzalez. Dupuis, 24 €, le 5 mars 2010.
Comme un long tango, plaintif et douloureux, suave et langoureux, cet épais album de 200 pages emmène le lecteur pour un voyage musical et historique, dans l’Argentine des années 1910 à nos jours. D’abord celle des émigrants européens, italiens principalement, qui débarquent après un long voyage en bateau vers une nouvelle vie. Puis celle des magouilles politiques et de la répression sanglante. Et enfin, celle d’aujourd’hui, lumineuse et ambiguë. Bandonéon c’est tout cela, le tourbillon de la vie, de l’amour et de la mort, un tango en bande dessinée puissant et poignant.
On y suit d’abord un obèse et triste joueur de bandonéon, qui n’a pas eu les moyens de faire venir son épouse, restée en Espagne. Puis on redécouvre quelques années plus tard un petit garçon devenu grand et ambitieux pianiste à la mode. La politique, la drogue et le sexe dictent leur loi, et tuent les hommes s’en qu’ils s’en aperçoivent. La troisième partie évoque une histoire d’amour désespérée. Ces trois instants de vie bénéficient chacun de trouvailles graphiques épatantes (superposition, répétition…), sublimant le trait énergique, charbonneux et charnel de l’auteur, qui pourrait paraître terne et peu engageant au premier feuilletage.
Enfin, cet ouvrage fort est enrichi d’un dernier chapitre, dans lequel Jorge Gonzalez se met en scène lui-même, en pleine réflexion sur son travail sur Bandonéon. Installé en Espagne, il est attiré par son Argentine natale autant qu’elle lui fait peur. Ce complément autobiographique (et cathartique) est passionnant, et apporte un point de vue contemporain sur la difficulté de se couper de ses racines – ce qui renvoie au thème développé par l’Italien Manuele Fior dans 5000 km par seconde.
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