BD numérique et droits d’auteur: le point de vue du Syndicat des auteurs
Le 18 novembre dernier, le Groupement des auteurs de bandes dessinées, membre du SNAC (Syndicat national des auteurs-compositeurs), a écrit un courrier aux éditeurs. Il s’agissait de faire suite à une réunion entre auteurs et éditeurs, dans laquelle les points de vue des deux parties se sont radicalement opposés. À l’aube du développement de la bande dessinée sur support numérique, la question du droit d’auteur sur ces nouveaux modes de diffusion se pose de manière pressante. Pour y voir plus clair, le scénariste Kris, au nom du Groupement, a répondu par mail aux questions de BoDoï.
La bande dessinée sous forme numérique est-elle pour vous une opportunité (créative et/ou lucrative) ou un sujet d’inquiétude (détérioration de l’œuvre…) ?
Les deux. Nous ne sommes pas catastrophistes et pensons sincèrement que le développement numérique peut/doit/va s’accompagner de nouvelles formes narratives et qu’il est toujours très excitant d’être au seuil d’une révolution créative. Mais nous voulons anticiper les éventuels effets pervers d’un tel développement, pouvoir contrôler un minimum le chaos qui résulterait justement d’un développement aveugle et non concerté entre toutes les parties prenantes. On a tout de même une chance énorme, et même si ce sont des domaines par bien des aspects fort différents du nôtre, de pouvoir observer ce que ça donne déjà depuis des années pour la musique ou la vidéo. Alors profitons-en pour imaginer ensemble un futur numérique littéraire « idéal », sinon c’est le numérique qui s’en chargera tout seul, avec toutes les conséquences que ça pourrait avoir.
Qu’avez-vous exactement demandé aux éditeurs ?
Lors de notre première rencontre avec le groupe bande dessinée du SNE [Syndicat national de l’édition], nous avons demandé à les revoir pour discuter spécifiquement du numérique, porter la parole des auteurs, réfléchir ensemble sur l’avenir, faire des propositions, etc. Mais malgré nos demandes répétées, nous n’avons pas été conviés à une nouvelle réunion… Jusqu’à ce que certaines de nos initiatives, notamment de conseil aux auteurs, les décident à nous « convoquer » dans leurs locaux. Nous nous y sommes rendus et avons débattu rapidement sur le sujet.
Quelle a été leur réaction ?
Nos points de vue divergent d’une manière assez radicale. En 1985, le législateur a obligé les éditeurs, tous genres confondus, à séparer la signature des droits de cessions audiovisuels (en gros, l’adaptation au cinéma ou à la télévision) de celle du reste du contrat d’édition. Nous voulons la même chose pour le numérique parce que nous estimons qu’il s’agit d’une exploitation radicalement différente de celle pour laquelle nous signons ce contrat, qui est et reste un livre de papier. Les éditeurs refusent, radicalement. Notre discussion s’est arrêtée là, sur des positions a priori inconciliables. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’argent, mais aussi d’une question de respect de la valeur artistique de notre travail. Aujourd’hui, quand un auteur cède à un éditeur ses droits pour, par exemple, un livre cartonné, grand format, de 46 pages, en couleur, il ne doit pas nécessairement le faire pour un défilement des cases de ces mêmes pages, numérisées, mises en musique, sur un écran de quelques centimètres carrés. Il s’agit de deux utilisations radicalement différentes de son travail, de son œuvre, et non, l’un ne va pas forcément avec l’autre. Artistiquement parlant, notre position est on ne peut plus légitime. Le numérique doit être questionné, et pas uniquement du point de vue financier.
Pensez-vous que les éditeurs sont bien préparés au développement des supports numériques de lecture de BD ?
Si nous en jugeons par l’action entreprise en justice par le groupe Média Participations contre les fournisseurs d’accès [qui auraient favorisé l’échange de fichiers BD piratés par le biais des newsgroup, réseaux de forums], nous craignons fortement que les leçons du marché du disque n’aient pas été très bien retenues. Pendant des années, ces derniers se sont battus contre le téléchargement illégal, sans grand résultat, et négligeant pendant ce temps, de mettre en place une offre concurrentielle et attrayante. C’est exactement l’inverse que nous souhaitons voir les éditeurs faire, et c’est la raison pour laquelle nous aurions aimé être associés à leurs réflexions et initiatives.
Comment voyez-vous la suite des négociations ?
Il n’y a pas de négociation. Les éditeurs que nous avons rencontrés pensent de toute évidence que les réflexions des auteurs sur ce sujet sont sans intérêt, et qu’en bons parents, ils savent mieux qu’eux ce qui est bon pour eux. On a vu dans la musique à quel point c’était vrai. Aujourd’hui, devant l’impossibilité du dialogue, le groupe bande dessinée du SNAC travaille donc seul. Et plus résolu que jamais à faire entendre la voix des auteurs.
Aujourd’hui, comment se passe concrètement la signature d’un contrat d’édition ? Les droits d’exploitation sur support numérique de la bande dessinée sont-ils précisés ?
Cela peut évidemment être très divers selon les auteurs et les éditeurs. Mais de façon générale, les droits d’exploitation numériques font toujours partie des droits dérivés. Le tout sous un descriptif on ne peut plus vague et qui n’a pas changé depuis qu’on a imaginé un jour qu’une bande dessinée pouvait se retrouver sur un ordinateur. Ça doit dater d’avant même le développement d’Internet… Un exemple précis de clause récente : « Le droit de reproduire par numérisation et mise en mémoire informatique et de l’exploiter et le diffuser sous tout mode et procédé technologique sous forme de produits « multimédia » (CD Rom, CDI, DVD…) ». Voilà. Vous noterez l’absence de l’iPhone ou des « liseuses numériques » par exemple et la bonne place des CDI [CD interactif, ancêtre du DVD], qui doivent être l’avenir du numérique comme chacun sait…
Bref, sous cet intitulé fourre-tout que l’on retrouve dans l’immense majorité des contrats, et qui fait donc partie des droits dérivés, pourront rentrer l’ensemble des développements numériques à venir. Or, ces développements risquent fort de se faire, en partie, au détriment des ventes papier. Et la rémunération des auteurs sur les droits dérivés est souvent moins intéressante que la rémunération proportionnelle sur les ventes d’albums. De plus, chaque développement numérique futur mettra forcément en place des modes de rémunération spécifique, pour la plupart encore à inventer (un droit sur chaque téléchargement ? Un forfait en échange d’une durée de cession ? La gratuité même, pourquoi pas, avec des recettes générées par la publicité ? etc.). Bref, nous cédons tout sans avoir aucune idée de la façon dont notre œuvre sera réellement exploitée. Et sans avoir la moindre idée de la façon dont on toucherait le fruit de notre création, une fois mise sous forme numérique. Actuellement, nous ne sommes pas certains que les éditeurs en aient une idée plus précise que nous, d’ailleurs…
Comment êtes-vous rémunéré sur une BD digitale ?
On va parler au futur plus qu’au présent car, pour le moment, on ne peut pas dire que les « BD digitales » éditées par des éditeurs européens soient légions… Si on reste sur la rémunération propre aux droits dérivés, nous toucherons en général 4 à 5% du prix public ou du prix conseillé (la loi Lang ne concerne toujours pas, pour le moment, le livre numérique…) en cas d’exploitation directe par l’éditeur. Et 50% des sommes récoltées en cas de cession à des tiers. Dans le premier cas, c’est donc deux fois moins que les droits d’auteurs sur un album (8 à 10%) alors même que le coût de fabrication/distribution-diffusion/vente d’un album sous forme de fichiers numériques sera évidemment largement moindre (pas de papier, pas de camions ni de cartons, voire pas de libraires…). Sans compter une fois de plus que la vente d’albums sous cette forme peut très bien, à terme, générer des recettes très marginales, ces dernières provenant plutôt de la publicité par exemple. Quant à une cession à des tiers qui l’exploiteraient sous forme numérique, personne n’a encore d’idée précise sur les recettes que cela pourrait générer, ni leur impact sur les ventes papiers, ni encore sur les « circuits » que ces cessions emprunteraient (lesdits tiers ne seront-ils pas en réalité majoritairement des sociétés appartenant au même groupe que l’éditeur originel ?). Bref, quels seront les moyens véritables alloués à la création au sein du marché numérique, mystère. Et actuellement, nous savons juste que nous toucherons 50% de ce mystère…
Souhaiteriez-vous complètement détacher les droits pour support numérique du contrat pour le livre ? Pour éventuellement les gérer en direct via un blog/site perso ou les vendre via un éditeur digital…
Les détacher, oui. Les gérer nous-mêmes, c’est autre chose et c’est une démarche plus individuelle. Certains s’y retrouveront très bien dans cette indépendance absolue, d’autres préfèreront toujours se concentrer uniquement sur leur création et laisser le soin à un éditeur de s’occuper du reste. Mais il est certain que le numérique peut tout à fait permettre un développement de l’auto-édition. Et que celle-ci se développera d’autant plus si les auteurs ne trouvent pas leur compte dans les relations contractuelles propres au numérique. Reste que tous les auteurs n’auront pas les moyens, ne serait-ce qu’en termes de connaissance de l’outil numérique, pour se débrouiller seuls. Et que, tout syndicat d’auteurs que nous sommes, nous croyons sincèrement à l’importance du rôle de l’éditeur et sommes tout à fait prêt à discuter de tous les points qui feraient débat. Nous sommes bien plus proches de Glénat, Casterman ou Delcourt par exemple que de Google, Amazon, Sony ou des fournisseurs d’accès télécom ! Mais actuellement, il y a monologue, pas dialogue. Aux éditeurs de prendre conscience des conséquences futures qu’aurait une absence d’ouverture sur ce sujet. Il en va autant de leur métier que du nôtre.
Propos recueillis par Benjamin Roure
Lire aussi le point de vue de l’éditeur Casterman.
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Excellent article (j’attends les autres avec impatience). On voit que c’est vraiment le bazar en ce moment …
pour être co-administrateur d’une plateforme d’hébergement de web Bd, on s’était également renseigné pour rémunérer les auteurs hébergés … seulement la loi française est incapable de nous dire ce que l’on peut faire ou non ! la BD numérique, même pour les amateurs, est un véritable casse-tête.
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Excellent article (j’attends les autres avec impatience). On voit que c’est vraiment le bazar en ce moment …
pour être co-administrateur d’une plateforme d’hébergement de web Bd, on s’était également renseigné pour rémunérer les auteurs hébergés … seulement la loi française est incapable de nous dire ce que l’on peut faire ou non ! la BD numérique, même pour les amateurs, est un véritable casse-tête.
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Merci pour cet article et pour les suivants, il y a en effet un nombre important de questions qui se posent et vont se poser… Pensons également à éduquer les utilisateurs de demain, car comme pour la musique ou les films, il est important de faire respecter les droits des auteurs !!!
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Merci pour cet article et pour les suivants, il y a en effet un nombre important de questions qui se posent et vont se poser… Pensons également à éduquer les utilisateurs de demain, car comme pour la musique ou les films, il est important de faire respecter les droits des auteurs !!!
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la BD en numérique sous forme de scans trop peu pour moi …
d’une part le confort de lecture est assez aléatoire et le contact
physique du papier me manquerais trop … -
la BD en numérique sous forme de scans trop peu pour moi …
d’une part le confort de lecture est assez aléatoire et le contact
physique du papier me manquerais trop …
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