Beaux livres pour Noël : Jirô Taniguchi, l’homme qui dessine
Benoît Peeters est allé à la rencontre de Jirô Taniguchi durant l’été 2011. Il en ramené un passionnant livre d’entretiens, L’Homme qui dessine.
Jirô Taniguchi et Benoît Peeters se connaissant depuis de nombreuses années, une relation de confiance s’est tissée entre eux. Bavard et pertinent, le mangaka se confie comme rarement dans ce livre d’entretiens publié par Casterman.
Dans les deux premières parties, vous en apprendrez plus sur l’homme, son enfance, ses relations avec ses parents, ses frères, mais aussi ses débuts dans le métier. À 18 ans, le voici à Tokyo en tant qu’assistant de Kyûta Ishikawa, mangaka spécialisé dans le shônen. L’homme n’est pas très doux et n’enseigne pas grand-chose à ses assistants (il leur laisse faire une grande partie de l’intendance de la maison), mais Jirô Taniguchi tient le coup. Au bout de quelques années, il tente de se lancer seul, sans succès. Il est alors pris sous l’aile de Kazuo Kamimura (Lorsque nous vivions ensemble, La plaine du Kantô…). Auteur de génie mort trop tôt, ce dernier était beaucoup plus proche et professionnel avec ses assistants. Ces deux expériences vont permettre à Taniguchi de se lancer dans le difficile monde de l’édition.
Il enchaîne alors des travaux pour des magazines érotiques et différentes collaborations avec des scénaristes, dont Natsuho Sekikawa et Caribu Marley. On s’attarde ici sur ses premiers mangas tournés vers l’action, sur son incursion dans l’humour et sur la pression et la productivité soutenue qui lui était demandée : plus d’une centaine de pages par mois! C’est pourquoi il va vite se tourner vers d’autres productions, plus lentes, plus personnelles et qui témoignent d’un travail d’auteur complet.
Cette nouvelle période commence dès 1985 avec Blanco. Vient ensuite Au temps de Botchan: « Un moment déterminant dans mon parcours. On peut même dire, je crois, que c’est avec ce livre-là que j’ai vraiment changé d’orientation. (…) Cela a permis de multiplier les idées et de tenter pas mal de choses. Pour l’époque, c’était un manga assez expérimental. » Cette collaboration avec Natsuho Sakikawa va lui permettre développer son goût pour les mangas adultes contemplatifs. Dans ses œuvres suivantes, comme L’Homme qui marche, Le Journal de mon père ou Quartier lointain, il améliorera son style graphique, approfondira la sensibilité de ses œuvres et son rapport à la famille.
À cette époque, Taniguchi est déjà attiré par la France: il se procure des BD étrangères ainsi que le magazine Métal Hurlant en import, et suit les initiatives de rapprochement tentées par Kôdansha avec les auteurs français. Ce qui lui plaît beaucoup, « c’est la force du dessin. Et le fait que les informations étaient très nombreuses dans chaque case. Je trouvais là des cadrages qu’aucun dessinateur de manga n’avait encore tentés. Des compositions de pages complexes et surprenantes. Et une très forte impression de réalisme ». Son trait s’imprégnera inexorablement de ces oeuvres européennes et d’ailleurs, son succès en France ne se fera pas attendre très longtemps, avec Quartier Lointain, son quatrième manga publié dans l’Hexagone.
Mais attention, il ne faudrait pas cantonner Taniguchi à ce type d’oeuvre, c’est un auteur aux multiples facettes. Il s’exprime ici sur ses méthodes de travail, ses inspirations, ses différentes thématiques et son rapport au monde. Qui le mènent à s’attaquer à des récits d’action, à des histoires contemplatives, historiques, culinaires, sportives ou naturalistes. Il l’avoue aisément: « Je m’intéresse effectivement à des choses très variées et je n’ai pas envie qu’on me range dans un seul genre. Mon sentiment profond, c’est que j’ai envie de tout aborder sous forme de manga. La science-fiction par exemple. (…) S’il était possible de faire un livre de philosophie en manga, je voudrais le tenter. (…) Dans le domaine de la poésie, adapter en manga des haïku, de Basho par exemple, cela pourrait m’intéresser. » Mais cela ne veut pas dire qu’il fera tout ce qu’on lui proposera: « Ce n’est pas parce que les gens me diront que tel ou tel sujet est intéressant par exemple que je pourrai le traiter, j’ai besoin que le matériau me corresponde vraiment. » Car « il n’y a pas de genre auquel je n’ai pas envie de toucher, mais plutôt des genres dans lesquels je sais que je ne serai pas bon ».
Après 40 ans de métier, le mangaka se révèle toujours autant passionné par son métier et beaucoup plus libre: « Ce qui m’anime désormais, ce n’est sûrement pas le désir d’accroître mon succès, mais l’envie de raconter et de dessiner des mangas qui m’importent vraiment ». Avec des séries en cours, des oeuvres prêtes à être lancées, et d’autres projets, le planning de Taniguchi semble bien rempli pour les prochaines années. Souhaitant petit à petit redevenir maître total de ses œuvres, Taniguchi voudrait pouvoir se passer d’assistant à moyen terme. « C’est même un projet concret et pas seulement un fantasme.(…) J’ai commencé à me préparer à ce changement.(…) Je m’imagine dessiner à l’encre et au pinceau plutôt qu’avec des trames. »
Bourré d’anecdotes et de précisions intéressantes, ce livre est aussi brillamment illustré. Beaux dessins couleurs ou noir et blanc tirés de ses planches ou de ses couvertures, crayonnés, dessins exclusifs… et même une histoire totalement inédite, inspirée par l’univers onirique de Yoshiharu Tsuge, très éloignée de ce à quoi Taniguchi nous a habitués. Porté par les mots, l’amateur du travail de Jirô Taniguchi ressortira de la lecture comblé, ravi d’avoir pu en apprendre plus sur cet homme. Le non initié aura découvert un auteur de manga atypique qui lui aura certainement piqué la curiosité. Une chose est certaine, après avoir lu ces entretiens, l’envie de nous (re)plonger dans ses œuvres est bien présente.
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L’Homme qui dessine.
Entretiens entre Jirô Taniguchi et Benoît Peeters.
Casterman, 20 €, le 7 novembre 2012.
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