Benjamin Flao ou l’art du voyage
Avec Kililana Song, Benjamin Flao (La Ligne de fuite, Mauvais garçons avec Christophe Dabitch) renouvelle le genre de la BD d’aventures. Dans le premier tome de ce récit passionnant, il nous emmène en Afrique dans l’archipel de Lamu, à la suite de son jeune héros, Naïm. Où l’on croise des touristes, des promoteurs immobiliers, un chaman, de jeunes prostituées… dans des décors d’une beauté lumineuse. Pour BoDoï, l’auteur revient notamment sur sa façon de travailler et l’influence des voyages sur son œuvre.
Qui est Naïm, le héros de Kililana Song ?
C’est un enfant comme il en existe beaucoup en Afrique : sans fric, donc débrouillard et plein de ressource. Cet orphelin a été recueilli par une tantine aimante et simple. Son fils, Hassan, aîné de Naïm, tente de remettre tout ce beau monde dans le droit chemin de l’islam. Naïm n’a rien contre Dieu, seulement il n’aime pas l’école coranique, où il prend régulièrement des coups. Il préfère apprendre au contact de ce que lui propose la rue.
Vous semblez avoir beaucoup d’empathie pour vos personnages, sauf pour les expatriés. Pour quelles raisons?
Il y a forcément le risque d’être un peu manichéen en abordant le sujet des expatriés. J’ai choisi d’évoquer une attitude qui me choque beaucoup : celle de l’étranger qui prend et ne donne rien en retour, dans une forme de néocolonialisme. La catégorie d’expatriés à laquelle je fais référence a déjà, dans son pays, un train de vie supérieur à la moyenne. Par éducation et/ou culture, elle ne s’imagine pas pouvoir changer ses habitudes en changeant de pays — ou alors dans le sens du profit. Ces gens arrivent souvent avec la légitimité de l’entrepreneur, du bienfaiteur, et se posent comme un exemple à suivre pour moderniser le pays. Grisés par leurs privilèges, ils n’ont plus aucune idée du fossé qu’ils creusent chaque jour entre eux-mêmes et les habitants du pays. Ils vivent entre eux, allant de terrains de golf en réceptions ou safaris, acceptant leur statut avec plus ou moins de naturel et de cynisme. J’ai le sentiment que ce sujet est moins bien traité que les ravages de la colonisation. Qui perdurent pourtant encore sous des formes plus pernicieuses…
En quoi l’Afrique, déjà présente dans La Ligne de fuite, est-elle une source d’inspiration ?
J’ai voyagé en Afrique de l’Ouest pour la première fois en 1999. À l’époque, je me souviens avoir eu la sensation d’un véritable « dépucelage de l’âme »… Je ne m’en suis jamais vraiment remis. Je trouvais là-bas tout ce qui me manquait ici : un temps nouveau, plus lent, une fraternité. Visuellement, ma perception a aussi changé : la lumière était tellement différente ! En 2003, j’ai participé à une expédition maritime qui m’a permis de voyager entre l’Égypte, l’Érythrée, Djibouti, la Somalie et le Kenya. Ce que j’aime plus que tout dans ce genre de périple, c’est la confrontation aux gens, à leurs habitudes et à leurs mentalités. Ils sont rarement blasés ou cyniques, et cela me fait beaucoup de bien.
Le thème de la spiritualité, abordé à travers l’histoire du roi Liongo, semble aussi vous tenir à cœur…
Liongo Fumo est un résistant qui se refuse à abdiquer devant la suprématie du conquérant arabe et préfère garder sa dignité, sa terre et sa liberté. Sa légende entre en résonance avec des résistances contre le néocolonialisme qui ont actuellement cours dans ce coin de l’Afrique, et plus largement dans toute la planète. J’ai aussi été beaucoup intrigué par la porosité entre l’islam et les croyances animistes ancestrales. Plus personne sur ces côtes ne pratique réellement ces cultes, l’islam et le catholicisme ayant depuis longtemps pris le dessus — même si les djinns, gris-gris et tout ce qui évoque les forces de la nature sont encore bien présents.
Vos BD évoquent les romans d’apprentissage : le protagoniste principal, souvent jeune, affronte les grands événements de l’existence. Pourquoi ce thème récurrent ?
On le retrouve en effet notamment dans mon premier livre, La Ligne de fuite : à l’époque, j’étais pétri de l’influence écrasante de mes maîtres (Pratt, Gir et d’autres). Je m’étais alors vite identifié à mon héros, Adrien, lui aussi écrasé par son maître à penser, Rimbaud. Côte à côte, nous parcourions un même cheminement chaotique, dont l’aboutissement était de se trouver une légitimité artistique, une voie propre. Pour Kililana Song, l’influence est sans doute à chercher vers Tom Sawyer, L’Île au trésor, Yakari et d’autres BD, feuilletons et dessins animés qui ont participé à ma construction de petit garçon. Ce biais de l’apprentissage me permet aussi d’aborder certains thèmes, comme la religion, la morale, les croyances ou le monde des adultes. Tout un tas de choses sur lesquelles, comme un enfant ou un néophyte, je m’interroge…
Mauvais garçons, précédent ouvrage réalisé avec Christophe Dabitch, était en noir et blanc avec des cases bien marquées. Kililana Song, au contraire, possède des couleurs magnifiques et explose la composition habituelle des planches de BD. Pourquoi ce choix?
J’aurais aimé faire Mauvais garçons en couleur mais cela m’aurait demandé beaucoup de temps… Avant de commencer à écrire Kililana Song, j’avais une vision esthétique assez claire du type de livre que je voulais avoir entre les mains. Un truc avec de l’espace, du vent, de l’eau, des bateaux, de la couleur et beaucoup de lumière — des odeurs aussi, mais c’est plus compliqué en bande dessinée… Car les ouvrages dans lesquels j’aime me replonger sont ceux qui, juste en observant leur tranche, font surgir une ambiance, un climat, un fort sentiment de dépaysement. Ce sont des invitations au voyage.
De quelle façon avez-vous travaillé ?
L’écriture a été très longue et chaotique. Je suis parti de notes de voyages et de carnets de dessins. Mais, comme je ne voulais pas m’en tenir à la réalité stricte, j’ai dû batailler pour installer mes personnages dans une dramaturgie, sans toutefois les éloigner totalement de ce que j’avais vu. Beaucoup de scènes sont issues d’un dessin existant, d’une ambiance ressentie. Ensuite, il m’a fallu ajouter des personnages, trouver un fil narratif sans m’écarter du sujet, enrichir l’histoire par des digressions choisies… J’ai fonctionné à l’instinct, au gré des pages. En jetant et recommençant beaucoup…
Comment avez-vous utilisé vos carnets de voyage ?
Ils forment la base du livre. Mon idée première était d’ailleurs de les reproduire en fac-similé, en y ajoutant quelques textes. Seulement, j’avais davantage envie de voir bouger les personnages et de parler d’eux que de raconter mes vacances au Kenya. Beaucoup des dessins de l’album sont directement issus des carnets, d’autres ont été modifiés pour les besoins de la mise en scène. Un dessin directement réalisé sur place contient évidemment plus de vérité qu’un autre refait par la suite. On perçoit une urgence, des accidents graphiques qui racontent eux aussi une histoire. Souvent plus grands que les autres, ces croquis saisis sur le vif amènent une respiration, un temps de contemplation qui tranche avec la narration classique.
Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?
J’ai commencé à en vivre en 2007, avec La Ligne de fuite. Avant, j’ai pas mal virevolté en essayant de gagner ma vie avec le dessin. Avec un copain, nous nous faisions fort de dire oui à tout ce que l’on nous proposait, même si nous n’avions aucune expérience. Peintures murales, affiches, pochettes de disque, déco… Et tous les étés, nous partions faire de la caricature dans la rue. C’était une très bonne école d’humilité, de rapidité, de repartie et de légèreté. Parallèlement, nous faisions de la BD, du fanzine, du graff. Puis j’ai commencé à voyager, et ce que je ramenais pouvait se transformer en expo de peinture, voire en livre.
Quels sont vos projets ?
J’ai pas mal d’idées, et ça part un peu dans tous les sens ! J’en ai assez de travailler seul et j’aimerais collaborer avec d’autres dessinateurs, des musiciens, des informaticiens. Pour explorer les possibilités de nouveaux outils, m’amuser, dialoguer, apprendre, partager… Je vais m’atteler au second tome de Kililana Song. J’y résoudrai les pistes ouvertes, ce qui rendra l’album assez mouvementé, avec une bonne dose d’air, de mer, de lumière, d’espace, de voile et… de bourre-pif !
Propos recueillis (par mail) par Mélanie Monroy
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Kililana Song
Par Benjamin Flao.
Futuropolis, 20€, le 8 mars 2012.
Images © Futuropolis.
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Joli coup de crayon ! Ca donne envie de lire ces aventures dans les BD
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Joli coup de crayon ! Ca donne envie de lire ces aventures dans les BD
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Je ne connaissais pas Benjamin Flao.
Magnifique ( Kililana Song) coup de crayon, et rendu des ambiances extra ordinaires.
Du coup j’ai aussi acheté Mauvais Garçons 1 et 2….
J’adore !!! -
Je ne connaissais pas Benjamin Flao.
Magnifique ( Kililana Song) coup de crayon, et rendu des ambiances extra ordinaires.
Du coup j’ai aussi acheté Mauvais Garçons 1 et 2….
J’adore !!!
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