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Benjamin Lacombe, cérébral et organique

20 février 2017 |

benjamin lacombe _by Matthieu_Dortomb 1Signature graphique majeure de la collection Métamorphose, aux éditions Soleil, Benjamin Lacombe, 34 ans, a publié chez Albin Michel, un album sur Frida Kahlo, où l’univers chatoyant et sombre de la peintre mexicaine croise celui du dessinateur. Rencontre avec un artiste inspiré, parfois inclassable, accompagné du scénariste Sébastien Perez, autour d’une oeuvre foisonnante et un peu obsessionnelle, qui fera l’objet en automne d’une première rétrospective à Paris, via la galerie Daniel Maghen.

Benjamin Lacombe, êtes-vous plutôt illustrateur ou dessinateur de BD ?

Benjamin Lacombe : Je ne me définis pas selon telle ou telle appellation. Je pense que c’est plutôt l’histoire qui apporte le support. J’ai fait de la BD, de l’illustration, je referai de la BD. Idem pour les éditeurs : j’ai tendance à me diriger vers l’éditeur qui peut me fournir le support que je recherche. C’est pour cela que je peux travailler non seulement dans la collection Métamorphose, mais aussi chez Albin Michel ou directement dans ma maison d’édition espagnole Edelvives, qui s’est notamment chargé, pour Frida, de la diffusion de l’ouvrage au Mexique.

Frida2Avec Frida, vous livrez un objet atypique. Pour quels lecteurs ? Dans quel but artistique ?

B.L. : Avec Frida, je pensais toucher davantage les adultes. Finalement, beaucoup d’enfants apprécient car c’est très visuel, le format est grand, et puis il y a ce découpage qui donne une profondeur aux dessins et qui semble séduire les écoliers que nous rencontrons dans nos visites de classes. De mon côté, je voulais un objet singulier, unique. J’ai beaucoup pensé au format, au tissu même qui recouvre le livre. Ce fut une réelle recherche de ma part. C’est vrai aussi que je souhaitais donner à l’expérience de nombreuses ramifications comme l’exposition, qui s’est tenue au musée d’Histoire de la médecine à Paris, qui s’installe à Metz, puis part en Argentine avant, nous l’espérons, de s’installer à la Casa Azul, la maison de Frida Kahlo au Mexique. Ce serait une belle consécration. Notre dernier séjour au Mexique a été extraordinaire, très fatigant physiquement aussi. Car Frida est un monument, auquel, nous, Français, nous nous attaquions !

Sébastien Perez, quelle a été votre approche du personnage ?

Sébastien Perez : Je ne connaissais pas Frida ; j’ai appréhendé le personnage lors d’une visite de la Casa Azul avec Benjamin. J’ai travaillé à partir de sa correspondance. Nous ne voulions pas écrire une biographie, mais un ouvrage organique qui répondait à la question : comment à partir de cette douleur qu’elle portait en elle, Frida a-t-elle fait émerger son art, son monde ?

Frida

 

Vous avez publié avec Sophie de Villefromoit, Les Fées de Cottingley : est-ce une approche créatrice différente que lorsque vous travaillez avec Benjamin ?

fées1S.P. : Avec Benjamin, je n’interviens pas, ou très peu, dans le dessin ; j’aime à penser que lorsqu’il amène son univers, mon texte doit le servir. Avec Sophie, je me suis plus impliqué dans la palette graphique. L’idée des Fées de Cottingley, cette histoire étrange élaborée à partir de photographies qui avaient notamment intrigué Arthur Conan Doyle, était toutefois la sienne, même si cet univers me parlait beaucoup. J’ai élaboré un synopsis et puis nous avons travaillé chapitre par chapitre, progressivement. Comme je la connais bien, et que je savais ce que son art pouvait donner sur mes mots, j’ai essayé d’accompagner au mieux ce processus. J’aime à penser que je suis capable de faire du sur mesure.

B.L. : Les apports, je l’espère, vont dans les deux sens. Sébastien a son monde, son univers, les fées ou les super-héros, thématique que j’ai abordé avec plaisir pour un travail sur les comics.

S.P. : Nous avons tous les deux notre sensibilité, mais Benjamin est un esprit cartésien, il aime approcher un thème avec un esprit presque scientifique, tout disséquer sur un sujet. Avec une approche d’historien comme lorsqu’il a travaillé sur les lettres de Frida – ce qui l’a poussé aussi à s’impliquer dans l’écriture avec la rédaction d’une longue postface. Ou encore lorsqu’il s’est plongé dans la vie de Lewis Carroll, à travers une documentation privée, pour Alice au Pays des merveilles et De l’autre côté du miroir. J’ai, quant à moi, peut-être, une approche plus « sensible », une réaction de l’ordre de l’émotionnel. Mes goûts sont par certains aspects différents de ceux de Benjamin. Je l’ai par exemple amené vers le monde des super-héros, moins naturel pour lui. À l’inverse, Frida est son idée. J’aime l’idée que c’est mon texte qui est mis au service de son dessin.

B.L. : Je pense qu’on se nourrit l’un l’autre. Dans une création organique et équilibrée… même si c’est sûr que je sais ce que je veux !

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Quelles sont vos obsessions graphiques et, à travers elles, que souhaitez-vous susciter chez votre lecteur ?

B.L. : J’ai grandi avec Disney et Tim Burton, je ne peux le nier. J’ai un goût pour les contes, notamment gothiques. Et, oui, je fais des gros yeux à mes personnages. C’est plus une récurrence graphique qu’une obsession ! Mais s’il devait y avoir une obsession, c’est la recherche graphique d’une réalité interprétée, à partir d’un sentiment abstrait, d’une métaphore. Ce passage par la métaphore est important, notamment pour les enfants. Avec l’album L’Enfant silence, avec Cécile Roumiguière, nous avons pu aborder un sujet aussi délicat que la maltraitance. Mon travail suscite différents sentiments chez le lecteur. Certains le trouvent sombre et romantique, d’autres pas si triste que ça… Je laisse mon lecteur ressentir ce qu’il veut ! L’ouvrage lui appartient quelque part.

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Le féminin est omniprésent. Est-ce également une obsession ?

B.L. : J’ai aussi développé des personnages masculins, mais le féminin occupe une place plus importante dans mon œuvre peut-être parce que ces personnages ont pour moi une plus grande densité. Regardez Frida, dans les mémoires, elle a occulté Diego Rivera, son mari, qui pourtant était plus connu de son vivant. Mais voilà, son œuvre est plus monolithique, datée, politique mais figée dans le temps et, par son aspect monumental, cette œuvre manque de chair. Avec Frida, on est sur l’universel, sur le corps, sur l’organique. Dans la Casa Azul, on a découvert qu’elle fabriquait des poupées en papiers, à la fois géniales et complexes. Plus généralement, je pense que les personnages féminins, Alice, Marie-Antoinette et les veuves que l’on trouve dans les Contes Macabres, sélection d’histoires de Poe, ont cette complexité qui manque aux hommes, peut-être par cette sensualité féminine. Après, je ne rejette pas les caractères de type masculin : je prévois un second travail sur Poe qui se concentrera plus sur l’homme.

Visuel extrait d'Alice au pays des merveilles (éditions Soleil/Métamorphose)

Olivier Souillé, directeur de la galerie Daniel Maghen : « Benjamin est pour moi un artiste total, dans un contrôle très positif de son art, fait de précision et d’exigence. Nous travaillons très étroitement pour créer un artbook accompagné d’une exposition, en octobre. Benjamin va tout décider de A à Z : il sera le chef d’orchestre du livre et de l’exposition. »


Alors, où se situerait l’obsession ?

B.L. : J’aime apprendre, lire, faire ce travail de recherche, je peux aussi vraiment passer du temps sur ce qui, pour certains, semblerait insignifiant. Par exemple, pour Carmen, mon prochain ouvrage, j’ai été fasciné par le langage de l’éventail et ce que la façon de le porter, de l’ouvrir, pouvait signifier. Je l’ai étudié, afin de pouvoir l’intégrer à mes dessins. Je me considère aussi comme un passeur, et je crois que je cherche, par mes dessins, à rendre la lecture ludique. Je suis également impliqué auprès de mes lecteurs, quand nous tenons avec Sébastien des conférences ou quand nous sommes invités à intervenir devant des scolaires. J’essaie de rester fidèle au sens premier du terme « illustrateur », celui qui vous mène vers la lumière, c’est-à-dire vers la compréhension, la connaissance, mais plus comme un passeur que comme un guide ! Après, on ne va pas se leurrer, je ne suis pas toujours aussi enthousiaste : je suis toujours très emballé par les débuts ou les fins que je souhaiterais éterniser, mais au milieu, c’est souvent très long et très laborieux !

It's coming soon #benjaminlacombe #golem #newbook #elietteabecassis

Une publication partagée par Benjamin Lacombe (@benjaminlacombe) le

Quels sont vos prochains projets ?

B.L. : J’en ai de nombreux, au moins quatre ou cinq… le plus abouti reste un livre sur Carmen, en utilisant le texte de Prosper Mérimée, avec mon éditeur espagnol. Il y a aussi une histoire de fantômes, un retour à la BD et encore une exposition autour du « jardin japonais, qui débute le 4 mars aux Pays-Bas. Enfin, avec Olivier Souillé, de la galerie Daniel Maghen, nous travaillons sur un vaste projet combinant livre et exposition. Celle-ci présentera, d’une part, mon travail effectué depuis deux ans (avec Frida et Alice, notamment), et d’autre part, des objets, vêtements, affiches, autour de l’ensemble de mes créations. Je commence à avoir réalisé de nombreux albums et d’oeuvres originales, il est temps de faire un premier travail de rétrospective.

Propos recueillis par Marc Lamonzie

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Frida.
Avec Sébastien Perez. Albin Michel, 25 €.

Alice de l’autre côté du miroir.
Soleil/Métamorphose, 29,95 €.

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