Bitter Root #1
Chez les Sangerye, on chasse le monstre de génération en génération. Mais même entre membres du clan, il y a deux écoles. Il y a ceux qui comme Berg, le balèze, Cullen le fluet et Blink la tenace, tentent de ramener les affreux « jinoos » à leur humanité, dans un Harlem de 1924 aux accents steampunk. Et puis il y a la méthode Ford, la tête brûlée de la famille, en mission dans le Sud, partisan lui de l’ »amputation » : l’élimination pure et simple de ces affreuses créatures, sans pitié pour les hôtes. Deux territoires, deux réalités : il faut dire que dans le Mississipi de l’entre-deux-guerres où se débat Ford, les jinoos sont du genre vicieux et portent la cagoule du Ku Klux Klan. Car ce mal qui corrompt l’âme et transforme ceux qui en sont porteurs en terrifiantes aberrations ne touche que les Blancs et puise directement ses racines dans le racisme.
On l’aura compris dans ce Ghostbusters rétro, superbement mis en images par le très doué Sanford Greene, le contexte historique et social n’a pas été choisi par hasard. Par le biais d’un récit ultra-rythmé, Greene et ses co-scénaristes David E. Walker et Chuck Brown, revisitent en mode pulp un pan de l’histoire des Afro-américains, marquée côté face par la Renaissance de Harlem qui vit ce quartier new-yorkais connaître dans les années 1920 un boom culturel et artistique sans précédent, et côté pile par les lynchages et par le massacre d’un quartier noir à Tulsa en 1921. Les auteurs ne se privent pas de mettre ce contexte en regard avec des événements d’aujourd’hui : aux dernières nouvelles, violences policières et racisme systémique n’ont pas totalement disparu du quotidien des Noirs aux États-Unis et Bitter Root s’inscrit dans un mouvement conséquent d’œuvres qui abordent ces sujets par le biais du genre. Pour en citer quelques-unes : la série TV Watchmen, Black Panther, Shadowman ou encore Get Out. Avec ce dernier film signé Jordan Peele, Bitter Root partage une parenté revendiquée à s’inscrire dans une nouvelle forme de réappropriation du récit horrifique.
Hi Comics, qui publie la série en France, a eu l’intelligence de conserver et traduire les copieuses annexes de l’édition originale, qui compilent plusieurs textes très éclairants spécialement écrits pour l’occasion par des universitaires. L’un d’eux, John Jennings, y défend un concept de son invention fort convaincant : l’ethnogothique. Ainsi inscrit dans un courant artistique émergent mais aussi soigneusement rattaché à un patrimoine littéraire plus classique, Toni Morrison en tête, Bitter Root révèle une richesse pas forcément évidente de prime abord au profane. Mais ce deuxième degré de lecture, passionnant, ne pèserait rien si l’album ne tenait par lui-même en tant que divertissement : et là, aucune inquiétude à avoir ! Le cocktail d’humour et d’action équilibré, pimenté par ce qu’il faut de morceaux de bravoure et de rebondissements, classe la série dans la catégorie des très bonnes sagas de SF familiale type Black Science ou Oblivion Song.
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Bonjour,
J’ai remarqué une erreur sous l’article de l’un de vos collègues, je vous la signale (article sur le Guide Bodoï : les meilleures BD du moment) :la BD de Mirion Malle (sur la dépression) est classée dans « Survivre à l’adolescence », pourtant la dépression touche tous les âges. Cette BD évoque en plus une femme adulte qui parle de sa dépression.
Pourquoi la classer dans « survivre à l’adolescence » ?Une BD qui parle de la dépression d’une femme adulte équivaut-elle à une BD qui parle de problèmes d’adolescents ? C’est une disqualification de la BD, et je serais curieuse de savoir si une BD sur la dépression faite par un homme adulte aurait subi le même classement (« survivre à l’adolescence »).
De la même manière, la BD Pucelle, qui est encore une fois une BD réalisée par une femme, est classée comme « survivre à l’adolescence » : la BD parle, pour l’essentiel, de l’enfance de l’autrice, et de son éducation maltraitante. Le rapport avec « survivre à l’adolescence » est là encore peu évident : si il s’agit du sujet de la BD le classement ne marche pas : on est pas adolescente à 5 ans. Et si il s’agit du public visé le classement ne marche pas non plus : il est assez clair que la BD s’adresse autant à un public adulte qu’à un public adolescent.
Serait-il possible que le magazine Bodoï prenne autant en considération ses lectrices que ses lecteurs, et qu’il fasse attention à ne pas disqualifier une bonne partie des BD faites par les femmes, en les classant en « littérature jeunesse » ?
Je trouve vraiment dommage ce parti pris éditorial, qui m’a éloigné de votre magazine un temps, et qui plombe un des rares magazines corrects de BD sur internet. Les femmes aussi achètent des BD.
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