Bradley à Bradley
Il court, Bradley, il court sans cesse. Sur les routes caniculaires du Nevada, pour rester en forme. Après la reconnaissance du monde du cinéma et après un Oscar. À la poursuite d’un bonheur fantasmé qu’il pense pouvoir trouver au contact d’inconnus ou au volant d’une voiture hors de prix. Et il croise des doux-dingues au casino, se fait courser par une ambulancière ébahie, écrit un courrier enflammé à Robert de Niro, se prête au jeu des imitations devant des touristes dans le désert… Quelle vie !
Ersatz bizarre de l’acteur Bradley Cooper, le héros de cet album totalement délirant rejoue un Very Bad Trip à la façon des Frères Coen ou des Monty Python. Entre rêves, élucubrations, fantasmes, il emmène le lecteur dans un tourbillon de ritournelles mentales, de saynètes déconnectées les unes des autres, et rythmées par un jogging furieux sous un soleil de plomb. C’est davantage à une expérience sensitive qu’à une lecture linéaire que nous invite Connor Willumsen : pour entrer dans l’univers de son Bradley, il faut accepter de lâcher prise, de remonter ses chaussettes et de se lancer à la poursuite de cette incarnation d’une solitude moderne nourrie de pop culture et submergée par l’omniprésence de la société de consommation. Et pour ce faire, l’auteur canadien déploie un style exubérant : ses planches déstructurées oscillent entre le trop plein de petites cases et la grande image virevoltante, ses ombres au crayon font vibrer sa ligne d’une belle fluidité, ses trouvailles graphiques et narratives lorgnent le cinéma muet tout en appuyant quelques clins d’oeil subtils au 9e art. C’est audacieux, c’est brillant, c’est ébouriffant. Une des plus belles surprises de 2023.
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