Calavera
Johnny, le double fantomatique de Doug, se perd dans les couloirs de la ruche, gouffre organique inquiétant, infesté de têtes de morts et de lézards verts. Et finit par rejoindre Lily, sa petite amie sur le point d’accoucher. Mais quelque chose ne va pas. Épuisé, il finit par s’endormir sur son lit avant que les souvenirs ne remontent à la surface : un père disparu, une épouse amoureuse, des polaroids étranges… Un monde apparemment familier revient à la mémoire de Doug.
Avec le dernier volet de sa trilogie, Charles Burns achève en apothéose la quête identitaire de Doug, le faux Tintin. N’en déplaise à certains, chaque tome avait donc sa logique. Fort de brouiller les pistes, les temporalités et les fils narratifs à renfort d’ellipses colorées, Charles Burns livre in fine tous les ressorts psychologique des errances de Doug, toujours instable mais plus présent au réel. Burns explore un itinéraire universel : un ado qui se cherche, expérimente les drogues, le sexe et l’amour, en un maelstrom confus mais rendu limpide par la construction narrative… Car l’auteur n’a cessé de balader le lecteur entre rêves et réalité, mémoire et fantasme, le perdant gentiment sans sacrifier la cohérence du récit.
D’une grande et stimulante densité psychologique, Calavera a aussi le grand mérite de laisser les portes ouvertes : sur les voies de l’inconscient, l’incommunicabilité, l’incapacité à aimer, la filiation. Le tout mis en scène par une superbe et maniaque ligne claire évoluant vers des ombrages détaillés. Porté par un suspense étrange et un imaginaire fascinant, le jeu de piste peut donc se refermer mais continue d’obséder une fois la dernière page tournée. Car miroir d’une adolescence torturée, cette trilogie apparaît comme la BD de Burns la plus aboutie, après le non moins brillant Black Hole. Des œuvres aussi ambitieuses et virtuoses, il n’y en a pas cinquante par an. Magistral !
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