Charlie Adlard, en pause vampire
Les zombies, il connaît. Par coeur. Dessinateur attitré de l’increvable saga The Walking Dead, Charlie Adlard a tout de même trouvé le temps, entre deux numéros de la série mastodonte écrite par Robert Kirkman, de mettre en images le script de Vampire State Building pour l’éditeur français Soleil. Un projet récréation, assumé comme tel, dans lequel, pour changer, il dessine des suceurs de sang. L’auteur était à Angoulême pour évoquer cet album, nous avons abusé de sa gentillesse et de son franc parler so british, pour lui demander comment il parvient à jongler entre rythme infernal de parution de la machine TWD, maintenu depuis maintenant quinze ans, et travaux parallèles.
Comment vous, un artiste britannique, et deux scénaristes français, Ange et Patrick Renault, vous êtes-vous retrouvés à collaborer sur une histoire qui se déroule à New York ?
Vous savez, la manière dont dessinateurs et scénaristes se retrouvent sur des projets donne rarement matière à des anecdotes dingues. C’est bien souvent juste un enchaînement de circonstances. Un jour, j’ai montré mon travail à Jean Wacquet chez Soleil, avec qui nous nous étions promis de faire un truc. Il y a 8 ans, j’ai dessiné Le Souffle de Wendigo écrit notamment par Mathieu Missoffe, et Jean est venu me voir il y a 4 ou 5 ans avec ce projet. Cela m’a alors pris 2 ou 3 années pour dire oui, parce que je n’avais jamais le temps. Soleil a juste eu la gentillesse de patienter. Longuement. Jusqu’à ce que je sois libre.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet ?
Quand je ne suis pas sur The Walking Dead, je préfère m’impliquer sur des choses très différentes. Surtout pas d’autre histoire de zombies. Et j’évite même autant que possible le genre horrifique, sauf si c’est vraiment un très bon récit. Je vois plus Vampire State Building comme un thriller d’action façon La Tour Infernale. Un Piège de Cristal avec des vampires. Ça fait une différence, même si je comprends qu’on puisse à première vue se dire que passer des zombies aux vampires ne semble pas une si grosse prise de distance. À la base, j’ai eu un coup de foudre pour le titre. C’est le genre de titre où on se demande comment il a pu n’être jamais utilisé. Il est tellement bon !
Il s’agit d’une nouvelle incursion de votre part sur le marché franco-belge. Quelle différence faites-vous avec les marchés américain et britannique ?
Le marché du franco-belge est sans aucun doute mon préféré pour le respect qui est accordé à la BD ici : la qualité de fabrication des livres, le fait que vous parliez ici d’un « neuvième art »… Aucun autre pays au monde ne respecte l’art de faire des comics au point de le placer au même niveau que la peinture ou la sculpture… Vous utilisez même le mot « auteur » ! Je peux vous assurer qu’on n’entend pas ça aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Pour tout vous dire, parler de marché ou même d’industrie britannique en matière de comics est un peu exagéré. C’est, en tout et pour tout, une paire de magazines et des publications pour enfants qui exploitent des licences connues. Les gens qui aiment les comics au Royaume-Uni regardent plutôt vers l’autre côté de l’Atlantique. Il y a bien, de la part de certains, une certaine tendresse pour 2000AD, plutôt tournée vers ce qu’était le magazine pendant ses cinq premières années… Les artistes chez nous tendent à considérer 2000AD, à tort ou à raison, un peu comme un tremplin pour se faire remarquer par les éditeurs américains. Je trouve ça triste que notre « industrie » ne soit considérée que comme un simple marche-pied vers un autre marché.
Vous le disiez, vous êtes évidemment très occupé sur The Walking Dead. Comment réussissez-vous à caler dans votre emploi du temps des projets annexes ?
Je travaille vite, mais pas au point de pouvoir tenir le rythme infernal de dessiner et encrer tous les numéros de TWD. Donc il y a quelques années, j’ai décidé de ne faire que dessiner et de laisser l’encrage à d’autres. Et de fait, ça me permet d’avoir un minimum de temps pour mener des projets persos en parallèle. Dessiner un numéro de TWD ça me prend à peu près deux semaines et ça me laisse donc à peu près autant de temps chaque mois pour travailler sur autre chose. Ce que j’essaie de faire, c’est d’avoir d’avance trois ou quatre numéros de TWD pour accumuler du temps libre et m’éviter d’avoir à jongler constamment entre deux titres. Je suis parvenu à me caler des sessions d‘un mois sur Vampire State Building, ça m’a permis de bien avancer.
Comment faites-vous avec Robert Kirkman pour ne pas vous lasser après toutes ces années sur TWD ?
De mon point de vue, tant que le script est bon et que Robert reste inspiré, je suis au diapason. Je serai heureux de continuer tant que ce sera son cas. Après, bien sûr, il y a des fois, où on laisse peut-être filer des choses un peu moins bonnes, tout simplement parce qu’on n’a pas le temps, avec le rythme de parution intense qui est celui de TWD. Mais ce ne sont jamais que des choses mineures. Si l’un de nous note un souci majeur, il se débrouillera toujours pour que l’autre en prenne conscience. C’est très rare. On a beaucoup de respect l’un pour l’autre et on sait qu’on fait bien notre boulot.
Quand vous prenez un peu de recul et que vous jetez un œil sur l’ampleur prise par The Walking Dead, qu’est-ce que vous vous dites ?
Je sais que c’est très cliché, mais je n’aurais jamais imaginé que ça devienne un tel phénomène, dans des proportions aussi incroyables, notamment il y a 4 ou 5 ans, au pic de popularité de la série. Les records tombaient et c’était dingue. Peut-être parce que je vis à Shewsbury, une petite ville rurale du Royaume-Uni, tout cela n’a pas eu autant d’impact sur moi que cela pu en avoir sur la vie de Robert. Je vis dans la même maison depuis 25 ans, je ne suis pas comme lui impliqué dans la machinerie hollywoodienne. Bien sûr, j’ai plus d’argent. Et c’est fabuleux parce que ça m’autorise à choisir les projets que je développe sur mon temps libre. Je n’ai plus besoin d’accepter des choses juste pour l’argent. Cela m’a apporté une immense liberté.
Comment gérez-vous le fait que vous resterez probablement à jamais « l’artiste de The Walking Dead » ?
Je ne suis pas naïf et sais que TWD est la chose la plus grosse et iconique sur laquelle je travaillerai jamais. Quoi que je fasse derrière, ça n’aura jamais le même impact, mais à la rigueur ce n’est pas mon problème : post-TWD, qu’importe quand ce sera, je sais que je n’aurai plus jamais à travailler sur les personnages des autres. Je pourrai bosser sur mes propres créations jusqu’à la fin de ma vie. Et je n’ai plus à me soucier de savoir si ça se vendra ou pas. Plus je vieillis, plus ce qui m’importe c’est de faire quelque chose qui vaille la peine. Loin de moi l’idée de rabaisser ce qu’est Vampire State Building, c’est un super thriller très fun, mais plus j’avance, moins j’ai envie de faire de l’action. J’aimerais me diriger vers des choses qui laissent une trace, ayant une résonance culturelle.
Il n’y aura pas de suite à Vampire State Building ?
Je ne pense pas. Ça a été pensé comme un récit bouclé en deux parties. Mais bon, il ne faut jamais dire jamais. S’il y a un jour un désir d’y revenir…
Et vous avez d’autres projets persos ?
Toujours. Il y a 3 ou 4 ans, mon ami Robbie Morrison est venu s’installer dans la ville où je réside. C’est avec lui que j’ai fait White Death il y a des années, ma première incursion dans les comics en creator-owned. Il a pas mal travaillé pour 2000AD et a écrit des BD sous licence Doctor Who. On se voit régulièrement désormais et on va retravailler ensemble. Je suis très excité parce que j’aime beaucoup ce qu’il fait. White Death reste un des meilleurs bouquins sur lequel j’ai travaillé et avec Robbie, on est sur la même longueur d’ondes. Et puis c’est dingue à dire, mais après 25 ans dans le métier, c’est la première fois que je vais travailler avec quelqu’un sans qu’une longue distance nous sépare. On peut avoir des discussions sans passer par les emails, sans Skype. En face à face ! Je vais sans doute pourvoir commencer à faire des esquisses et des dessins préparatoires pendant qu’il travaillera sur les grandes arches de l’intrigue. Je n’ai jamais eu l’occasion de faire ça avant. C’est intéressant comme gestation. Dites, je peux vous redemander, c’est pour quelle publication cette interview ?.
C’est pour un site qui s’appelle Bodoi.
Ah Bodoi ! Vous étiez un magazine avant, c’est bien ça ? Nous avions eu une prépublication de trois pages de White Death justement dans un numéro. C’était il y a 18 ou 19 ans. C’était un sacré honneur pour nous de figurer dans un magazine de bandes dessinées français. Je suis content de savoir que vous existez toujours.
Propos recueillis et traduits par Guillaume Regourd
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Vampire State Building #1.
Par Charlie Adlard, Ange et Patrick Renault.
Soleil, 14,95 €, le 3 avril 2019.
Images © Adlard / Soleil
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