Choi Juhyun, rêves et souvenirs d’une Coréenne
Avec Sous la peau du loup, la Sud-Coréenne Choi Juhyun nous emmène au gré de ses rêveries mêlées de souvenirs, au fil d’un dessin éthéré à l’encre de Chine, qui se passe de bulles. On suit une main coupée, une troupe de théâtre ou encore des soldats, tout en percevant le tragique qui se cache derrière l’absurde. On s’attend à rencontrer une jeune femme timide et sensible, dégageant autant de poésie que son trait. Raté, car cette auteure – aujourd’hui installée à Poitiers, où elle travaille dans un cinéma d’art et d’essai – tient plutôt du clown, bouille ronde et yeux vifs inclus, et rit aux éclats toutes les cinq minutes…
On évolue dans votre livre comme dans un rêve, sans toujours comprendre ce qu’on lit. Que s’y passe-t-il ?
Mes personnages sont en train de perdre leur identité et leur envie de vivre. Le récit est assez déstabilisant pour le lecteur, qui doit se laisser porter par ce qui arrive. L’intérêt pour lui est d’interpréter les choses, d’ouvrir des portes. J’avais envie de poser une situation, et de laisser ensuite les gens l’explorer, se l’approprier. Ce livre comporte une dimension historique et une autre psychologique, il est un peu surréaliste et onirique. On y croise plusieurs personnages aux âges et profils différents, qui entrent dans un restaurant ou un tiroir… Il faut pour s’y plonger accepter des logiques un peu bizarres, des emboîtements narratifs à la manière des poupées russes. Je souhaitais que l’on se sente perdu, que l’histoire soit mouvante.
Quelle résonance a-t-elle avec celle de la Corée ?
Pendant que je travaillais sur l’album, au printemps 2008, il y eut des mouvements populaires violemment réprimés dans mon pays. J’étais très émue et me sentais impuissante, car trop loin de tout ça. J’ai eu besoin de faire passer ces sentiments dans l’album, de rappeler que le pouvoir est illégitime en Corée. D’où les allusions au pouvoir militaire.
Comment avez-vous débuté en bande dessinée ?
Tout a commencé en 2003, quand j’ai rencontré des gens du fanzinat, et travaillé pour les collectif de Warburger ou de L’Employé du moi. Ensuite, j’ai publié des livres en auto-édition, dont Halme [mémé en coréen] en 2004, qui mélangeait l’histoire de ma grand-mère à une légende coréenne.
Quel a été votre parcours ?
À Séoul, j’ai suivi des études de langues, puis de design. C’était ennuyeux, car très pragmatique. Moi, je voulais aller aux Beaux-Arts. Alors j’ai fait comme beaucoup de Coréens qui, faute pouvoir se former dans leur pays – car les études d’art y sont très coûteuses et élitistes -, s’exilent. Je suis venue en France il y a sept ans, et j’ai étudié à Limoges puis à Poitiers. Ensuite j’ai fait diverses installations ainsi que du théâtre d’ombres. Les techniques narratives m’intéressant particulièrement, je me suis orientée vers la bande dessinée. Le passage au dessin s’est fait naturellement, d’autant plus qu’en Corée je peignais déjà. Pourtant, je n’imaginais pas remplir des cases lorsque j’étais dans mon pays d’origine ! Là-bas, la BD est une industrie et n’a rien à voir avec l’art.
Quels sont vos projets ?
Sous la peau du loup devrait être publié en Corée par Sai Comics. Et j’ai plein d’autres envies… J’aimerais réaliser un livre drôle et léger pour L’Employé du moi, faire rééditer Halme, et raconter une histoire de déménagement qui date de quand j’étais adolescente.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
Images © Cambourakis
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Sous la peau du loup
Par Choi Juhyun. Cambourakis, 20 €, le 8 octobre 2008.
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