Contes de Noël du Journal Spirou 1955-1969
Depuis 1955, le journal de Spirou publie un numéro spécial Noël, un classique de la presse que l’on retrouvait dans quasiment toutes les autres publications jeunesse. Pour ces numéros, les auteurs du journal réalisent des récits courts, parfois avec les héros habituels, parfois comme une récréation, des petites fables illustrées (voire carrément des nouvelles, spécialités de Peyo) dans le ton de la fête. Des contes, aux fins morales et positives, emplis de rêves et de charité chrétienne. C’est en effet dans ces numéros que se nicha le plus tardivement l’obédience catholique du patron, tenant à voir des églises sur chaque couverture. Une anecdote fameuse veut même qu’il ait forcé Morris à reprendre la couverture de Noël 1963 (celle reprise en couverture de ce livre) afin la rendre plus religieuse. Las, l’auteur finit par ajouter une petite église en 4e de couverture et obtint ainsi l’aval du patron.
Bien souvent inédits en albums, même si quelques-uns ont pu être repris dans des intégrales, les récits de ces numéros font le bonheur des collectionneurs et amateurs. Au-delà de leurs qualités, ils conservent un charme un peu naïf qui donne le sourire. Les éditions Dupuis, toujours fidèles à leur politique patrimoniale, ont donc sorti à Noël dernier une anthologie des meilleurs récits de Noël parus durant 19 ans dans le journal. Si l’album est certes marqué par sa saisonnalité et que la chronique peut paraître un peu en décalé, nous parlons d’histoires ayant plus de 40 ans et qui pourront bien se relire à Noël prochain… d’autant que certains ont repoussé leurs fêtes familiales aux beaux jours !
D’ailleurs, l’album s’apprécie bien plus en le picorant qu’en en dévorant d’un bloc ses 230 pages. Au bout d’un moment, on frise l’indigestion de morales sirupeuses – et de dindes aux marrons. Ce serait dommage, car logiquement ces histoires ont été faites pour parsemer une semaine de lectures, à des années d’intervalle. L’effet de répétition est logique et n’enlève rien à la qualité intrinsèque des œuvres, même si certains auteurs sont forcément plus inspirés. On comprend à la lecture pourquoi Maurice Tillieux (avec un excellent mini-récit sur un ange cherchant désespérément à faire une bonne action), Will (dont les histoires ont déjà été reprises dans ce beau volume) ou Franquin (qui crée le Petit Noël pour l’occasion) ont plus marqué l’histoire que le Mulligan de Berck ou les contes de Starter, mêlant Noël et mécanique, écrit et illustrés par Jidéhem. Mais si les auteurs vedettes tiennent leurs promesses, il serait erroné de penser que des auteurs moins visibles sont sans intérêt.
Les néophytes pourront ainsi découvrir l’étonnant trait du début de carrière d’Hausman dessinant Saki et Zunie, ou les Tuniques bleues dessinées par Salvérius. Plus oublié encore, et c’est injuste, l’univers tordant et inspiré du Vieux Nick et barbe noire de Marcel Remacle, ou le carrément confidentiel Kéké de Bara, au style graphique inventif et à l’humour délirant. C’est finalement plus pour ces petites perles, dont les auteurs ne seront jamais réunis en intégrales, que le livre vaut le coup. Si le lecteur est attiré par Roba, Peyo ou Morris, il n’y découvrira finalement pas grand-chose de nouveau, alors qu’il plongera dans certains univers inconnus avec délectations (connaissait-il Ryssack par exemple, pourtant compagnon de route de nombres d’aventures de Dupuis?).
Entre le plaisir de retrouver de vieux camarades dans des aventures spécifiques ou de découvrir des auteurs moins connus, cette anthologie recèle aussi d’intéressantes surprises. On y apprend que Godard avait déjà inventé un bébé nommé Toupet dans une dévastatrice aventure dès 1965 ou que Jijé avait un certain goût de l’autodérision – avec une aventure mêlant Blondin et Cirage et Buck Danny. Surtout, l’on note qu’avec un peu d’imagination on peut transformer un conte de Noël mièvre en en bousculant tous les codes, comme Tillieux dans l’improbable Porteuse de dinde, où tout se finit tout de même bien sous « un chant d’allégresse ». De quoi prouver que d’un exercice typé et risquant d’être répétitif, l’on peut varier sur le thème à l’infini, et le lecteur en redemander. Rendez-vous en décembre pour les quinze années suivantes ?
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