Dans la baie de Bourne, on naît soit jaune, soit magenta, soit cyan. Rares sont les couples mixtes donnant des bébés métisses, et la répression envers les cyans, frange la plus déshéritée de la population, se fait de plus en plus forte. Dans ce contexte, on suit un groupe d’amis qui se retrouve vingt ans après un drame de leur adolescence : la disparition brutale d’un des leurs, un cyan, dans la foulée d’un attentat qui a ensanglanté la ville. Serait-il impliqué ? Que s’est-il réellement passé il y a vingt ans ? Et comment, après tout ce temps, et des trajectoires éclatées, les anciens potes peuvent-ils resserrer les liens pour faire émerger la vérité ?

Intéressante autrice italienne de Point de fuite et Sestrières, Lucia Biagi revient ici avec un projet fleuve de près de 500 pages, une chronique de la fin de l’adolescence et des illusions, sous la forme d’un thriller de SF. En construisant une société d’apartheid fictive mais terriblement crédible, où les cyans seraient comme les Noirs des États-Unis, elle prend la distance nécessaire pour parler de racisme d’État, mais aussi de corruption des élites et de la police, d’urbanisme brutal au service d’un projet politique xénophobe, et de la radicalisation inévitable des luttes pour la liberté et les droits civiques. Des thèmes forts qui, emballés dans ce récit en flashbacks, seront à même de passionner un lectorat jeune, dès le lycée.

Toutefois, on peut regretter un certain manque de rythme dans le déroulement de l’intrigue, qui semble patiner et tourner en rond. Ainsi que quelques portraits un peu caricaturaux et une résolution trop prévisible. Dès lors, comme certaines séquences n’avancent pas, on s’attarde sur les quelques maladresses du dessin : pourtant léger et dynamique, bien dopé par des gammes colorées fantastiques, il pêche par moments sur des postures, des proportions anatomiques… Rien de rédhibitoire car l’ensemble demeure cohérent et on peut pardonner des approximations sur un tel volume de planches. Mais, au final, si la lecture de Cyan n’est pas désagréable, elle laisse planer une vraie frustration : le potentiel était là pour un canevas plus dense et des partis-pris plus radicaux, autour d’une très bonne idée de base.