Dans l’antre de la pénitence
Sarah Winchester est l’héritière d’un empire industriel, celui des fameuses carabines à répétition. Mais elle déteste les armes et les interdit là où elle vit, maintenant que sa fille et son mari sont morts tragiquement : une vaste demeure en perpétuelle construction. Un chantier continu, 24h/24, accompli par des types sinistres et des âmes en peine. Qui ont bien du mal à comprendre les plans dictés par Sarah, qui ne cessent de les modifier, sous l’impulsion de ses propres fantômes.
S’inspirant d’un lieu réel et d’une histoire vraie, qui donnera l’an prochain un film avec Helen Mirren, Peter J. Tomasi brosse le portrait d’une Sarah Winchester littéralement hantée par des spectres, qui lui indiquent les éléments à bâtir pour empêcher l’irruption dans le monde des vivants de créatures maléfiques dignes des Grands Anciens de Lovecraft. Elle ordonne donc que le bruit des marteaux ne s’interrompe jamais, pour repousser les monstres dans les ténèbres, et fait construire des escaliers montant au plafond ou des portes s’ouvrant sur le vide. Dès lors, cette maison titanesque et labyrinthique devient un personnage à part entière de ce long comics (près de 200 pages), publié dans un agréable grand format pas Glénat et pour un prix plus que raisonnable. Mais Tomasi ne s’arrête pas là et offre un personnage miroir à Sarah, en la personne de Peck, tueur solitaire en quête de repentir, lui aussi hanté par des visions sanguinolentes. Dès lors, c’est un terrain de jeu incroyable qui s’offre au dessinateur Ian Bertram, qui construit des planches pleines de hachures et de lignes organiques, dont le découpage est en lui-même une architecture vertigineuse. Son style cartoon outré, comme un dessin jeunesse dévoyé, donne une tonalité flippante et magique à l’ensemble, parfaitement soutenu par la mise en couleur éclatante de Dave Stewart, le complice habituel de Mike Mignola. Les lignes tremblent, les cases se renversent, les visages se tordent, les boyaux suintent, les onomatopées cognent… Dans l’antre de la pénitence est un album sonore, sensoriel et éreintant. Une expérience rare et forcément clivante.
Publiez un commentaire