Des idées dans la garde-robe
Pour ce cinquième livre de la jeune collection de vulgarisation scientifique Octopus, dirigée par Boulet, on sort des sciences « dures » pour aborder les sciences humaines, sur le sujet de la mode vestimentaire. L’ambitieuse mission des deux narrateurs, Odette, couturière de formation et critique vestimentaire, et Jean-Paul, hamster anthropologue, est donc de nous montrer que l’on peut aborder ce sujet, traditionnellement considéré comme frivole et superficiel, de manière sérieuse et documentée, tout en restant accessible. Le livre est ainsi organisé en neuf chapitres qui sont autant de thématiques : de « Pourquoi la mode change-t-elle ? » à « Pourquoi est-ce si bon de s’acheter de nouveaux habits ? ». Entre chacun viennent s’intercaler des pastilles au ton léger qui proposent des respirations, intitulées « La minute Jean-Paul ». Cette construction permet de lire séparément les chapitres. Même si cela entraîne des redites, c’est plutôt intelligent et on se dit que l’on part bien. Malheureusement, on déchante très vite.
La première impression qui ressort de la lecture de l’album est en effet le fouillis. On peut trouver plusieurs raisons à cela. Pour commencer, les autrices ont visiblement échoué à fondre le récit en une seule et même voix, la faute probablement à l’utilisation de deux narrateurs distincts, à la biographie inventée, dont par ailleurs l’existence comme la personnalité sont totalement arbitraires et ne se justifient pas au fil de la lecture. Ces deux voix ont chacune leur propos qui évolue en parallèle, encombrant ainsi le récit qui devient bavard, créant de la confusion avec une trame surchargée.
Logiquement, le dessin de Cécile Dormeau, avec sa ligne claire épurée, devait améliorer les choses. En fait, c’est plutôt l’inverse. La jeune illustratrice, dont c’est ici le premier album, tombe dans le piège de la sur-illustration. Elle multiplie les éléments visuels et les déclinaisons d’une même image, ajoutant encore à la confusion au lieu de rechercher la simplicité du dépouillement. Avec son compte Instagram suivit par 150 000 abonnés, elle ne manque pourtant pas d’expérience. Peut-être cela met-il en lumière une différence entre la narration des réseaux sociaux et celle de l’outil papier ? Quoiqu’il en soit, ce formatage « Instagram » se révèle de plus franchement pénible à la lecture. Le ton est en effet très stéréotypé et l’humour, résidant dans l’utilisation d’expressions en anglais – qui sont autant de lieux communs – et dans des références people, est forcé. Dans une société à ce point obsédée par l’image, les intentions étaient louables : décomplexer les lecteurs, les lectrices en particulier. Ce parti pris qui se veut visiblement « proche des gens » concourt surtout à rendre le propos superficiel, dans une contre-performance sévère, en contradiction totale avec l’objectif affiché.
Le scénario de la journaliste et philosophe Juliette Ihler, spécialiste de la vulgarisation des idées, repose pourtant sur un solide bagage théorique. Mais elle reste dans une exploitation superficielle de son matériau, ce qui se révèle très frustrant, car nombre de concepts piquant la curiosité ne sont pas développés. Dans l’ensemble, il s’agit là d’un livre qui n’a pas su trouver son équilibre, et ne tient finalement pas debout.
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