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Dylan Horrocks : « J’ai assez d’histoires pour deux vies… »

16 mars 2015 |

Dylan_Horrocks-photoAprès avoir marqué une génération de lecteurs avec Hicksville, l’auteur néo-zélandais Dylan Horrocks, 49 ans, et son faux air d’intello premier de la classe, fait l’actualité chez Casterman. Outre la réédition du petit bijou Hicksville, viennent de paraître sa dernière BD, Magic Pen, et un recueil d’histoires courtes, At Work. L’occasion de parler 9e art et ressorts psychologiques, pour tenter de cerner l’univers d’un auteur aussi stimulant qu’attachant.

Vos bandes dessinées sont souvent des hommages au 9e art. D’où vous vient cet amour sans limite?

J’ai toujours grandi au milieu des BD, les Donald Duck, Tintin et autres Lucky Luke, car c’étaient les seules traduites dans mon pays. Mon père m’achetait des rééditions de Peanuts aussi et, baignant dans cet univers, j’ai dessiné avant même de savoir lire ou écrire. Le dessin est ma première langue et, à vrai dire, je ne me suis jamais vraiment posé la question de savoir comment est venue cette passion.  J’ai par ailleurs été libraire pendant dix années, avant d’arrêter à l’âge de 27 ans, à la naissance de mon enfant. Je ne pouvais pas gérer à la fois la librairie et la BD. Les librairies ou les bibliothèques sont pour moi les temples de la civilisation, des caves magiques remplies de trésors.

horrocks_samQuelle est la part d’autobiographie dans Magic Pen ? Êtes-vous Sam Zabel ou est-ce simplement un alter ego, un double fantomatique ?

J’ai longtemps utilisé Sam dans mes livres, mais ce n’est pas moi en fait, son histoire et sa personnalité sont bien différentes. Il est juste un médiateur, un moyen pour explorer le monde. Mais aussi un laboratoire d’expériences, qui m’apprend des choses sur la vie et moi-même.

Comme Sam, auteur de comics en dépression artistique, avez-vous connu dans votre parcours ces terribles moments de solitude face à la page blanche, des déserts d’inspiration ?

Sam est censé écrire un comics, il est déprimé et incapable de produire ne serait-ce qu’une page. C’est dans Magic Pen la part la plus autobiographique. Quand je réalisais Batgirl pour DC Comics, je détestais le faire en réalité et je me suis perdu. Tout simplement car, enfant, je n’ai jamais cru à ces histoires de super-héros qui impliquent une vision éthique et morale du monde. Je n’ai jamais été fan de super-héros, à l’exception de Captain America et des séries télé Batman, étrangement poétiques. Je ne me rendais pas compte à quel point il était difficile d’écrire des histoires produites par d’autres, de s’approprier ces personnages qui vous sont finalement étrangers. J’ai écrit Magic Pen pour me retrouver, renouer avec la BD qui me plaît, faire corps avec le rêve et toucher du doigt l’essence même de la relation équivoque entre le désir, l’imaginaire et le fantasme. C’est vrai, j’ai longtemps été paralysé, sans parvenir à écrire ou dessiner. J’avais mis beaucoup d’énergie dans Batgirl, avec un sentiment ambivalent, comme si quelqu’un d’autre l’avait fait tandis que mon travail personnel était gelé. J’avais réalisé les deux premiers chapitres de Magic Pen il y a dix ans : ça été un processus très lent, il m’a fallu retrouver un rythme.

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Quel est le rapport entre BD, fiction et réalité selon vous?

horrocks_magicQu’est-ce qui fait l’essence des BD ? Je me suis toujours posé cette question. Et une autre : comment aimer la BD, un support qui n’est pas pris au sérieux, une forme marginalisée ? La BD a toujours été pour moi un nirvana et j’ai souvent été frustré de ne pas pouvoir explorer tout son potentiel. Or Magic Pen parle de cela. Perdre la foi dans ce que vous aimez avec cette idée que les histoires ne sont pas que des fictions ou des mensonges mais l’expression de l’essence même du réel. En faisant cette BD, j’ai retrouvé ma voie. Hicksville tentait de montrer comment la BD peut tout raconter, Magic Pen évoque plutôt ce que nous aimons des comics quand nous sommes ados ou enfants, et tente de cerner les ingrédients à l’origine de notre fascination.

Qu’est-ce qui la rend si puissante justement ?

En devenant adulte, notre regard change. L’imaginaire pose un problème d’ordre moral. Quelle est sa valeur ? Dans quelle mesure peut-il constituer une angoisse ? Magic Pen est plutôt une conversation qui propose une interprétation et des arguments, qui mènent ensuite à d’autres questionnements. Au début du livre, j’insère d’ailleurs deux citations qui ouvrent le débat contradictoire tout en posant les enjeux (« Dans les rêves commence la responsabilité« , W.B. Yeats; «Le désir n’a pas de morale. Le comportement, bien sûr, a une morale et les actions ont un poids moral. Mais aimer ce que l’on aime et vouloir ce que l’on veut n’ont pour moi pas de poids moral« , Nina Hartley dans l’émission Sex Out Loud ). horrocks_couvJe me suis beaucoup amusé à aller dans toutes sortes d’endroits, à essayer des choses, à faire des expériences. Au final, quoi que dise la BD, il est important d’être honnête et sincère pour aller au fond des choses, apporter de l’authenticité. Alan Moore en est l’exemple type : ses BD sont parfois difficiles, dérangeantes mais il affiche un grand niveau de confiance en lui et ne ment pas sur ses peurs, ses craintes, ses obsessions. À l’image aussi de Chantal Montellier qui m’a beaucoup marqué avec Les Rêves du fou.

Votre BD a-t-elle une dimension critique ou politique ? Vous semblez attaché à soulever la question du féminisme.

Le sexisme est une vraie question. Personnages, auteures, lectrices, elles sont plus visibles et mieux représentées dans le monde de la BD. Au début, c’était rare mais quand je me rends dans les festivals, la moitié des jeunes auteurs sont des femmes et j’ai le sentiment qu’une plus grande diversité des voix s’exprime aujourd’hui. C’est assez excitant, ça ouvre de nouvelles pistes pour raconter des histoires. Lesquelles ? Difficile à dire… Elles représentent le futur et à ma manière je veux le célébrer mais aussi pointer leurs doutes. Au-delà du féminisme, j’ai voulu explorer comment politique et éthique interagissent avec le rêve et l’imagination. Chester Brown, John Porcellino et Robert Crumb le font très bien.

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Comment avez-vous vécu le succès critique et commercial d’Hicksville ?

Il a eu plus de succès que je ne m’y attendais. J’étais intimidé, impressionné car je n’y étais pas du tout préparé et, d’une certaine manière, c’était une épreuve. Après cela, dessiner a été dur pendant un moment, j’avais perdu le plaisir de le faire. Ça me fait penser à Lynda Barry [Mes cent démons!] qui se focalise sur la joie de dessiner, comme un processus physique de libération. J’avais perdu cela. Aujourd’hui, je n’ai jamais autant aimé la BD et je le vois à ceci : j’écris des scènes qui parfois me font littéralement pleurer.

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Vos projets désormais ?

horrocks_reveLe plus dur arrive. J’ai assez d’histoires pour tenir deux vies [il note dans son calepin des idées tout au long de l’interview…] et il m’est souvent difficile de choisir parmi toutes ces possibilités. On le voit dans les mises en abîme de mes livres. Je suggère beaucoup d’histoires dans l’histoire. Magic Pen devait être une back-up story, tout comme Hicksville. Bref, c’est encore flou mais je vous ferai signe !

Propos recueillis et traduits par M.Ellis

Images © Dylan Horrocks / Casterman – Photo © Matthew Chappory

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